Organisation des Binzima
« L’équipe dirigeante du mouvement, qui était basée dans la région d’Oyem, comprenait, entre autres, les chefs OVONE MINTSA, du clan Nkodjè, et EKOME ADZA, alias « Monsieur KLA », du clan Odzip. L’ensemble des guerriers ou Binzima (*qui signifie « les soldats ») était réparti en dix bataillons de quatre cents à cinq cents hommes commandés par des chefs de bataillon. Chaque bataillon était à son tour divisé en compagnie de cent hommes, commandées par des capitaines et subdivisées en plusieurs sections opérant sous les ordres de commandants ou d’adjudants. Enfin, le commun des soldats était composé de sergents, de caporaux et de simples tirailleurs.
Tous les Binzima, pour se couvrir, avaient des noms d’emprunt qui étaient, soit des noms d’Européens pour les chefs, soit des noms de tirailleurs de l’armée coloniale pour les simples soldats. Mais ces derniers, dans leurs unités, avaient en outre des titres traduisant leur rôle dans la confrérie. Ainsi, il y avait des éfam (taon) et des atsam dzang (*celui qui disperse, qui détruit la tribu, le groupe) qui constituaient des corps spéciaux. Les éfam étaient en quelque sorte ceux qui assuraient les liaisons entre les diverses unités et jouaient le rôle d’éclaireurs. Les Atsam Dzang étaient les combattants de choc, ceux qui donnaient le premier assaut. Le mouvement disposait en outre d’interprètes et d’agents de renseignements qui opéraient jusqu’à l’intérieur des postes coloniaux.
Comme signe de reconnaissance, les Binzima utilisaient la coiffure. Les chefs portaient un chapeau ou un képi blanc tandis que les simples soldats mettaient une chéchia rouge et les interprètes, un chapeau de la même couleur. Ils se couchaient tôt le soir pour être sur pied avant le lever du jour et des sentinelles veillaient toute la nuit dans les corps de garde. (…)
La lutte contre la pénétration coloniale
En mars 1907, donc, l’administrateur colonial De TERSANNES et les soldats qui l’escortaient furent attaqués au village de Nyon et eurent un mort et quatre blessés au cours du combat. Ils prirent cependant le village mais durent aussitôt l’évacuer et battre en retraite sous la pression des autochtones. La capitaine CURAULT partit alors de Ndjolé à la tête d’une importante colonne. Le 11 avril 1907, il se présenta devant le village d’Ebele, principal foyer de résistance, et donna l’assaut à neuf heures trente minutes. Après un dur combat, les défenseurs du village durent décrocher et la localité fut occupée par les troupes coloniales. Mais, dix minutes plus tard, les résistants, sous la direction du chef EKOME NNA, revinrent à la charge « avec une énergie et un mépris du danger admirables ».
Le village d’Ebele comptait cinq corps de garde. EKOME N’NAH et ses hommes en réoccupèrent trois et acculèrent les troupes coloniales dans les deux autres en faisant parmi elles un mort et sept blessés. A douze heures trente minutes, CURAULT et ses hommes durent se retirer en débandade, poursuivis par les résistants qui ne les lâchèrent que deux kilomètres plus loin. Le 6 août suivant, après avoir reçu des renforts du Sénégal, le capitaine CURAULT et le lieutenant KAPPLER se rendirent encore dans la région d’Ebele avec cent dix hommes. Mais, EKOME N’NAH et ses compagnons, qui avaient certainement beaucoup souffert des combats du mois d’avril précédents, ne lancèrent aucune attaque contre eux et firent mine de se soumettre. En fait, ils restèrent foncièrement hostiles à la présence des blancs dans le pays et continuèrent à intercepter les communications entre les postes installés par les colonisateurs. Avec le renforcement de l’emprise des Binzima dans la région, grâce à l’arrivée de nouveaux éléments du nord, la situation devint difficile pour les colonisateurs qui allaient bientôt découvrir que toute la région entre Ebele et Oyem était « minée » et que les petits incidents signalés çà et là n’étaient que les manifestations d’un mouvement plus vaste qui s’étendait sur toute la région.
En 1909, après de vaines tentatives de négociations avec EKOME N’NAH, qui refusa catégoriquement de se rendre à Ndjolé, le capitaine DEBIEUVRE reçut pour mission de se venger contre Ebele à la suite de la défaite subie en 1907 et de rétablir la liaison entre Oyem et le poste de la Lara, isolés l’un de l’autre par les Binzima. Le moment était bien choisi par les colonisateurs. Le mouvement de résistance, dans la région d’Ebele, connaissait en effet alors quelques difficultés internes et les autorités coloniales de Ndjolé en avaient eu vent.
DEBIEUVRE partit de Ndjolé le 22 juin 1909 et parcourut toute la région avoisinant Ebele sans rencontrer de résistance. EKOME N’NAH et ses concitoyens durent payer une très forte amende de guerre. Un poste militaire fut installé à Ebele et, le 10 juillet 1909, les troupes coloniales reprirent le chemin de Ndjolé où elles arrivèrent le 13 juillet.
Tout avait paru facile. Les différents villages de la région parcourue par la colonne de DEBIEUVRE, à l’exception que quelques-uns seulement, avaient semblé faire acte de soumission véritable et l’on pouvait croire que le calme était revenu dans le pays. Mais, ces apparences étaient fallacieuses. En effet, ce qu’ignorait DEBIEUVRE, c’est qu’à quelques kilomètres d’Ebele, les Binzima avaient installé leur quartier général à Okola, dans les monts Minkongo, et qu’ils étaient en train de le fortifier. Lorsqu’il comprit la situation, DEBIEUVRE passa à la deuxième phase de sa mission et repartit le 23 août 1909 vers le nord pour établir la liaison avec le poste d’Oyem.
Le 23 août, au soir, la colonne de DEBIEUVRE arriva à Makone qu’elle quitta le 25 août pour aller s’établir à Otuma. Dès le départ des troupes coloniales, Makone fut sévèrement châtié par les Binzima pour avoir accueilli les colonisateurs.
Le 27 août, DEBIEUVRE se présenta devant Okola avec une centaine d’hommes des troupes coloniales et cinquante partisans. La bataille s’engagea à quinze heures. Les Binzima, évalués à quatre cents ou cinq cents, soit un bataillon, opposèrent une vive résistance mais les troupes coloniales, après avoir enlevé les quatre blockaus qui formaient les défenses avancées, reussirent à pénétrer dans le village. Les Binzima se replièrent pour revenir immédiatement à la charge. Ils reprirent pied dans le village et, après un combat corps à corps, se retirèrent encore dans la brousse voisine d’où ils se mirent à harceler les troupes coloniales. Celles-ci ne purent se maintenir dans la localité qu’elles abandonnèrent à dix-sept heures trente minutes pour se replier à Otuma, toujours harcelés par les résistants. A l’issue de la bataille les Binzima comptèrent quinze morts et cinq blessés et les troupes coloniales quatre blessés. Les jours suivants, deux autres batailles très acharnées eurent lieu à Minkoa où six Binzima furent faits prisonniers, et à Mveng où, après un dur combat corps à corps, les résistants eurent quatre tués et les troupes coloniales deux blessés.
La fin du mouvement des Binzima
Mais, déjà la résistance des Binzima faiblissait au fur et à mesure que Debrieuvre et ses hommes progressaient vers le nord. Cela était dû, non seulement à l’action des troupes coloniales mais aussi, et surtout, aux exactions commises par les Binzima eux-mêmes à l’endroit de ceux qui n’adhéraient pas à leur cause, exactions qui firent beaucoup de mécontents. Le 21 septembre, la colonne de DEBIEUVRE arriva à Oyem où fut convoquée une grande réunion à laquelle assistèrent des chefs binzima. A l’issue de cette réunion, les autorités coloniales, soucieuses d’éviter une aggravation de la situation, relâchèrent les prisonniers binzima et se contentèrent d’infliger à chaque clan fang de la région une amende de mille francs.
Pendant ce temps, vers le sud, les combats continuaient. Après la bataille d’Okola, le reste des troupes Binzima sous la direction d’OLELE MBOME, s’était replié vers l’Abanga et avait fixé son quartier général à Abal. Sommés par Bérard, le chef du poste d’Ebele de se rendre, OLELE et ses hommes, qui tenaient toujours la campagne, livrèrent le 21 septembre 1909, une violente bataille à la garnison d’Ebele aidée par des partisans. Après la prise d’Abal, OLELE MBOME résista encore deux jours avant de se rendre aux autorités coloniales le 23 septembre.
Vers le nord, les Binzima du Woleu ne déposèrent pas les armes après la réunion du 21 septembre. Leur résistance se poursuivit encore pendant plusieurs jours, obligeant DEBIEUVRE et ses hommes à rester dans la région jusqu’au 8 octobre 1909, date à laquelle ils reprirent la direction de Ndjolé. Sur leur chemin de retour, ils se trouvèrent aux forces binzima du Haut-Okane qui se concentrèrent à Ayang mais durent se rendre sans combattre, sans doute à cause de graves dissensions internes. C’en était pratiquement fini du mouvement des Binzima.
Quelques groupes opérèrent encore dans la région de Junckville jusqu’en décembre 1909, interceptant les caravanes de la S. H. O. entre cette localité et l’Ivindo. Mais, après des affrontements notamment à Bingông, avec les troupes coloniales commandées par le capitaine LAIGNOUX, le mouvement s’éteignit complètement. »
Source : Nicolas METEGHE N’NAH, L’implantation coloniale au Gabon, résistance d’un peuple, Tome 1