Fabien MÉRÉ
10 mars 1958 – 27 janvier 2021

Portrait réalisé par Anaclé BISSIELO
Entrée en matière
Brillant avocat au Barreau du Gabon et orateur hors pair. Humaniste inspiré et activiste infatigable au service des défavorisés. Passionné de culture et amoureux talentueux de l’art de la photographie en noir et blanc et du design. Chantre intransigeant des droits de l’homme.
Me MÉRÉ nous laisse tant de profils de son riche parcours de vie, que l’on ne peut ignorer, sans courir le risque d’être réducteur.
Lui-même ne se serait jamais laissé enfermer sous le registre politique.
Me MÉRÉ a fréquemment déployé les ressorts de la rhétorique. Sous la manière dont il excellait dans ce domaine, transparaissait en fait l’étendue d’une culture, caractéristique des dernières générations qui ont achevé leur cursus, avant l’effondrement du système scolaire gabonais.
La culture découlait davantage chez lui, de la passion de la lecture, des grands auteurs et des grandes idées.
Le siècle des Lumières était pour lui, une source inépuisable d’inspiration. Le bistrot qu’il a ouvert à Lambaréné sur les berges de l’Ogooué, se transformait chaque fois qu’il était présent, en un lieu d’échanges d’idées, rappelant à la fois le climat des cafés philosophiques ou littéraires des Lumières et son attachement au contact avec les gens de toutes les conditions.
Parcours académique et carrière professionnelle
Il va sans dire que cette richesse culturelle marque aussi l’aboutissement d’un cursus scolaire, de l’école primaire Saint Paul des Bois de sa cité natale de Port-Gentil, au campus de l’Université Omar BONGO, en passant par le Collège Raponda WALKER à Port-Gentil, le Lycée Michel FANGUINOVÉNY de Lambaréné et le Collège QUABEN de Libreville.
Avec le diplôme de maîtrise de la Faculté de Droit de l’Université Omar BONGO, le futur Me MÉRÉ s’ouvre la voie de la noble profession d’avocat à laquelle il s’identifiera toute sa vie.
Il prêtera serment en 1987, après son stage dans le célèbre cabinet du premier avocat du Gabon, Me Pierre-Louis AGONDJO OKAWE, figure de proue de l’opposition au régime dictatorial d’Omar BONGO.
Me MÉRÉ entre au Grand Tableau de l’Ordre des Avocats en 1990, rejoignant ainsi le Barreau au sein duquel il donne la pleine mesure de sa maitrise des arcanes du droit et de son talent d’avocat.
Engagement politique
L’année 1990 marquera un tournant aussi bien pour l’avocat que pour le citoyen.
Me MÉRÉ entrera ainsi dans un engagement politique qu’il assumera jusqu’à sa mort en 2021, avec courage, en suivant une ligne idéologique constante visant la restauration d’une démocratie véritable, comme préalable fondamental au rétablissement de l’état de droit et de la mise en place d’un nouvel ordre institutionnel, conforme aux idéaux de la république et digne d’un Etat moderne.
Année d’explosion d’un mouvement de contestation du régime du parti unique au pouvoir, 1990 est surtout l’année de la Conférence Nationale.
À l’ombre d’illustres aînés qui retrouveront la parole dans le contexte de ce grand rendez-vous politique, Me MÉRÉ compte parmi les rares jeunes, annonçant l’arrivée d’une nouvelle génération, à se retrouver au cœur des orientations de l’opposition, qui vont reconfigurer un paysage politique gabonais figé depuis le milieu des années 1960.
Il est ainsi présent quand l’opposition crée le Front Uni des Associations et Partis politiques de l’Opposition (FUAPO) à l’unisson des leaders déjà consacrés par la confrontation, à divers titres, avec le régime du parti unique et Omar BONGO : OYONO ABA’A, NZOGHE NGUEMA, KESSANY, RENDJAMBE ISSANY, l’Abbé NGWA NGUEMA, BOUTAMBA, MENGOME ATOME, NANG NGUEMA, AGONDJO-OKAWE, etc.
Conférence Nationale
La participation de Me MÉRÉ aux travaux de la Conférence Nationale se fera sous les couleurs du Parti radical des Républicains Indépendants (PARI), formation politique dont il est l’un des fondateurs avec ses anciens condisciples de l’Université et des compatriotes encore plus jeunes pour certains : Anaclé BISSIELO, Yannick REBONDO ALLELA, Jeanne Thérèse MBOUMBA REKOULA, Ursule BOUBALA, Dr Jean François MEYE, Jacky DELAGEOT, Jacob CABINDA, Landry OKILI, Me BANTSANTSA, Roger RATANGA, Mathurin MENGUE, Marlon OTANDO, etc.
La Conférence Nationale révèlera au peuple gabonais, partagé entre espoir et crainte de représailles, l’existence d’un réservoir d’idées, de talents, de personnalités patriotes et intrépides. Me MÉRÉ, un des symboles de cette richesse en ressources humaines, prendra la parole dans le cadre des déclarations structurant les travaux de la Conférence Nationale.
En s’exprimant au nom du PARI, c’est aussi la voix de la génération montante qu’il fera entendre.
Après la Conférence Nationale, l’engagement de Me MÉRÉ restera une succession de défis, d’autant plus que les bases de la démocratisation resteront fragiles, jusqu’à ce jour.
Assassinat de Joseph RENDJAMBE
À peine la Conférence Nationale achevée, le Gabon est secoué par l’assassinat de Joseph RENDJAMBE et l’ampleur du mouvement social qui s’en suivra. Cet événement est une épreuve, notamment pour les participants à la Conférence Nationale qui renaissent à la vie politique. Me MÉRÉ est l’un des premiers a arrivé sur le lieu de l’assassinat de Joseph RENDJAMBE pour faire constater le décès.
Alors que certains acteurs politiques déjà consacrés, dont Me AGONDJO-OKAWE, voient leur sécurité menacée, Me MÉRÉ émerge progressivement comme un leader qui saura avec d’autres de sa classe d’âge, faire face au plus fort de la crise.
Il assurera, sous l’ombre de son maître le Bâtonnier AGONDJO-OKAWE, la défense des nombreuses personnes arrêtées durant le mouvement de protestation et de révolte, suite au meurtre de Joseph RENDJAMBE.
Me MÉRÉ est celui qui va cacher en toute clandestinité Alain Claude Bilie-By-Nze en 1994 parce qu’il était recherché par la police de la dictature d’Omar BONGO. Car à cette période, Bilie-By-Nze était un des Responsables du Syndicat des étudiants gabonais (SEG) de l’Université Omar Bongo (UOB) et c’est lui qui avait déshabillé le recteur de l’époque, un certain Daniel Ona Ondo. Bilie-By-Nze donnera le prénom « Fabien » à l’un de ses premiers fils pour remercier Me MÉRÉ.
L’idée de la candidature unique de l’opposition
Ayant précocement compris l’importance des premières élections présidentielles pluralistes de 1993, pour l’avenir de la démocratie au Gabon, Me MÉRÉ se fera, au cours d’une campagne expresse, le chantre de l’idée d’une candidature unique de l’opposition à ces élections.
Au terme de la participation de l’opposition à ces élections de 1993, en ordre dispersé, Me MÉRÉ plaidera aux côtés entre autres du Bâtonnier STASI, devant la Cour constitutionnelle saisie du contentieux électoral.
Face à Me MÉRÉ qui se signalera en faisant le choix d’une variante de la défense de rupture, la Cour constitutionnelle gabonaise inaugura la validation systématique du candidat du régime en place, le candidat du PDG, consacrée comme une tradition.
Il faudra attendre près de 25 ans pour faire de l’idée de la candidature unique, une réalité et voir sa pertinence stratégique validée comme vecteur de la motivation citoyenne, à l’exemple de la mobilisation électorale sans précédent, du 27 août 2016.
Défense des droits de l’homme
Loin de se limiter aux défis politiques, l’action de Me MÉRÉ se déploie par ailleurs sur le terrain de la défense des droits de l’homme. Il crée à cet effet en 1993, l’association ‘’Légitime Défense’’ à la tête de laquelle il va multiplier les prises de position publique et les initiatives, notamment pour :
- de meilleures conditions de vie dans les quartiers sous-intégrés, de Libreville
- plaidoyer en faveur d’une prise en charge des malades mentaux par l’Etat et pour le respect de leur dignité humaine
- lutter contre la pauvreté dont la gravité est symbolisée par la présence de gens vivant de la récupération et du tri d’objets à la décharge (poubelle à ciel ouvert) de Mindoubé
Inscrire son action dans la tension entre Droits de l’homme et politique témoigne de la singularité de la relation entre Me MÉRÉ et la société et de sa conception de la quête de la justice sociale.
C’est au nom de la dignité humaine qu’il lancera, à la veille des élections présidentielles de 2016, son appel politique invitant Ali BONGO à ne pas se présenter à ce scrutin, après les précédents du long règne de la famille BONGO et des massacres qui ont imposé Ali BONGO à la tête de l’Etat en 2009.
Élection présidentielle 2016 et tentatives d’assassinat
Au terme d’un parcours d’engagement dominé, en définitive, par la politique, Me MÉRÉ s’est investi corps et âme, dans la consécration de la stratégie de la candidature unique et de la défense de la victoire de celui qui a été désigné comme tel, Jean PING.
Suite à la crise ouverte par le hold up électoral, Me MÉRÉ échappera par deux fois aux menaces contre sa vie. Il survivra ainsi aux assaillants qui avaient tiré à l’aveugle des rafales à son domicile, puis à la brutale et meurtrière attaque militaire lancée contre le QG. Il témoignera de cette tragédie morale et humaine :
“ Ce jeudi là, ils sont venus.
Ils ont tiré, ils ont tué. Ils ont massacré la jeunesse gabonaise. Ils ont osé tuer ! Ils ont osé tuer des enfants qui chantaient, qui dansaient ; des enfants qui ne rêvaient que d’un monde moins violent.
Ils ont, avec des armes, sans état d’âme, décidé d’exterminer, malgré vos larmes, vos jeunes âmes désarmées.
Ce jeudi là, croisant mon regard dans vos sangs mêlés, nous espérions dans la pénombre de l’horreur, une main salvatrice.
Je pense à vous. ”
L’exil en France
Sa vie de plus en plus menacée, Me MÉRÉ se pliera à l’exil en France, en 2017. Renfort illustre de la Diaspora gabonaise en résistance, il y prendra toute sa place en la servant de son art de rhéteur, pour en devenir naturellement un porte-voix efficace pour la reconnaissance de la vérité des urnes et du choix souverain du Peuple Gabonais.
Place du Trocadéro à Paris, mitoyen du Parvis des droits de l’homme, retentiront longtemps encore les harangues d’un seul et même héraut dans lequel politique et droits de l’homme se fondent, un héraut du « politikos« .
Me MÉRÉ est mort en exil comme on tombe au champ d’honneur.
Repères bibliographiques
Pour aller plus loin
À écouter
- GABON – HOMMAGE à Maître Notre Martyr Fabien Méré (Maison de l’Avocat) à Libreville
https://www.youtube.com/watch?v=fCorwbacg18 - Pour le Gabon – Maître Fabien Méré
https://www.youtube.com/watch?v=st4-zVJ436c - Gabon Rassemblement de la résistance, Maître Fabien MERE le 18 février 2017
https://www.youtube.com/watch?v=8W0VsetauKo