Joseph Issani RENDJAMBE

31 mai 1939 – 23 mai 1990

Portrait réalisé par Nodih BONGUÉ BOMA

Naissance et parcours scolaire

Joseph Issani Rendjambe est né le 31 août 1939, à Omboué dans la lagune du Fernand Vaz, au sud de Port-Gentil, dans la province de l’Ogooué-Maritime. Lagune dont sont originaires également Pierre Akendengué, et ses frères Pierre Louis Agondjo-Okawé, Charles Tchen et Jean Ping.

Après ses études secondaires au collège Bessieux à Libreville, il obtient son baccalauréat.

Il s’envole pour Sorbonne à Paris pour étudier la philosophie. Son militantisme au sein de la FEANF (Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France) dérangeant le pouvoir gabonais, il a dû fuir et continuer ses études en Europe de l’est, en Tchécoslovaquie qui facilitait la venue des étudiants militants africains contraints de quitter la France.

Il assiste au printemps de Prague, où il obtient un doctorat d’état en économie.

Avant de rentrer en 1971 au Gabon, probablement à la demande de l’État gabonais, il s’installe un an à Paris pour suivre un certificat des administrations des entreprises.

Il entame sa carrière comme professeur d’économie à l’École nationale de l’administration (ENA).

Carrière professionnelle

Jusqu’en 1978, il n’y avait pas de statut pour les enseignants à l’université : ils avaient un statut de professeurs des lycées et collèges affectés à l’université. Le statut de l’enseignement supérieur a été créé en 1978 sous l’impulsion de Joseph Rendjambe.

À l’Université Nationale, il était enseignant titulaire d’économie du développement en sciences économiques à la Faculté de Droit et Sciences économiques. En parallèle, il était enseignant vacataire à l’ENA.

Il a également occupé le poste de directeur général de l’Agence Nationale de Gestion des Participations de l’État, et est passé par la Chambre de commerce.

Au moment de sa mort, il était Directeur Général de la SONADIG (Société Nationale des Investissements du Gabon), PCA de la Sonapresse (Union) depuis mars 1988 et membre du Conseil d’Administration de la radio panafricaine Africa N°1. Il sera d’ailleurs l’auteur du contrat-programme que la Sonapresse conclura avec l’Etat.

Il avait entamé, à Port-Gentil, avec des cadres de sa localité d’origine, la création d’une société de production de sel à partir de l’eau de mer. Les études de marché et les aspects juridiques de la société avaient été faits, il restait la formation du personnel et l’achat des matériels. Après sa disparition, personne n’a poursuivi le projet.

Engagement politique

En 1972, il est arrêté et torturé suite à la vague d’arrestations sous prétexte d’un complot communiste contre le pouvoir en place. Il a été emprisonné, à l’instar de Pierre-Louis Agondjo Okawe.

Il a été le premier Secrétaire général du PGP, Parti Gabonais du Progrès, dont il était la tête pensante. Il a joué un rôle important lors de la conférence nationale en 1990, en réclamant et obtenant le multipartisme au Gabon. Il n’acceptait pas les compromis politiques.

Joseph Rendjambe était Chef coutumier et l’héritier du trône royal de sa région. Avec le cœur sur la main, il était très proche des personnes dans le besoin, qu’ils soient de sa localité ou du reste du Gabon.

Assassinat de Joseph Issani RENDJAMBE

Joseph Rendjambe a été découvert mort le matin du 23 mai 1990, dans la chambre 645 de l’hôtel Dowè à Libreville, juste à la sortie de la conférence nationale. Selon les premiers éléments de l’enquête, il y avait rendez-vous avec une femme inscrite sous l’identité de Jeanne Canonne de nationalité ivoirienne. Accompagné par son chauffeur, il se rendra jusqu’au 6e étage et ne sortira plus vivant. Jeanne Cannone n’a jamais été retrouvée.

Des émeutes éclatent dans la capitale Libreville et à Port-Gentil, un centre pétrolier et se répandent à travers le pays. Des actions posées contre des intérêts et des ressortissants français sont suivies par une intervention musclée du gouvernement et surtout de l’armée française. La France intervient militairement pour soit disant « protéger ses ressortissants » et maintenir le système Bongo. Une sévère répression précède le retour au calme.

L’assassinat de Joseph Rendjambe n’a jusqu’alors, jamais été élucidé.

À Port-Gentil, une place Joseph Rendjambe ISSANI a été inaugurée dans le 2e arrondissement de la ville.

Un témoignage de Fabien Méré

23 mai 1990 : JOSEPH RENDJAMBE

Dring dring dring… J’ouvre péniblement un œil, je regarde mon réveil posé sur ma table de travail dans l’axe de mon regard, il est un peu plus de 6h30 du matin, ce mercredi du mois de mai de l’année 1990, le 23 précisément. 

Un jour qui se présentait comme un autre. Il ne le sera pas. 

Je décroche le combiné du téléphone fixe (personne n’imaginait l’arrivée des portables) posé sur la tablette de chevet. 

  • Allo ?
  • Maître Méré, ils ont tué Monsieur Rendjambé !!!
  • Nooon ! Comment ça ? Où ça ? Quand ? 
  • Cette nuit à l’hôtel Dowé …

Au bout du fil, Madame Malouta en pleurs (paix à son âme), la secrétaire de l’Étude Agondjo et Pouzère où je terminais mon stage d’Avocat. 

Ni une ni deux, j’enfile un pantalon, un tee-shirt et des mocassins. Je passe rapidement par la douche et me retrouve au volant de mon véhicule. Un Toyota Starlet qui aura une place et une histoire dans les événements dits de 90.

Parti de l’appartement que j’occupais au quartier Glass, mitoyen de la Gaboprix, en face du restaurant Le crabe farci, juste après la station d’essence. 

Je roule presque à tombeau ouvert, direction le centre ville. Mille questions me traversent l’esprit à la même vitesse qu’affiche le compteur de mon véhicule. Ligne droite. Bord de mer. Pharmacie de Glass. La Caisse. Rénovation. La Poste. « Feu rouge » de la Présidence. « Feu rouge » de l’Immaculée. Codev ! 

Il y a déjà foule sur la voie publique. 

Je prends la petite bretelle qui monte vers l’église Sainte Marie non sans difficulté. Je gare ma voiture là-haut.

Je dévale la petite colline à la quatre-six et me retrouve coincé à l’arrière de cette foule de plus en plus compacte.

  • Laissez-moi passer! Laissez-moi passer!  
  • Laissez passer. C’est Maître Méré ! 

Quelqu’un m’a reconnu. C’est vrai que j’ai déjà quelques faits d’armes dans mon escarcelle tant sur le plan professionnel que dans le champ de l’engagement politique, et notamment à travers la déclamation du discours du PARI écrit par mon ami et frère Anaclé Bissiélo, avec le concours des autres membres de ce courant politique du PGP à l’occasion de la Conférence nationale retransmise en direct sur l’unique chaîne de télévision, la RTG. Conférence nationale  interrompue par Omar Bongo qui estimait que ça durait trop.

Je me fraye un passage avec beaucoup de difficultés jusqu’à l’entrée de l’hôtel. Là, deux ou trois policiers font les vigiles et empêchent la foule d’accéder à l’intérieur de l’édifice. Perturbés  par les « bonjour Me Méré! Laisser passer l’avocat! » de la foule, les agents me laissent accéder à l’intérieur de l’édifice sans autre forme de procès. L’hôtel est vide. Aucun personnel au hall d’entrée ! Ni à la réception. Personne dans les étages auxquels j’accède par les escaliers que je monte quatre par quatre. 

Des voix dans le couloir. Je me rapproche. Une porte ouverte. Stupeur ! Un corps étendu sur le dos, les bras quasiment en croix. La tête repose sur son côté droit. Un liquide verdâtre a coulé de sa bouche et forme une auréole de quelques centimètres de diamètre sur la moquette.

Ma vision se brouille. J’ai du sel dans les yeux mais je ne pleure pas ! Sonné, je suis. Je vacille à la vue de la scène, mais je reste debout.

Je redresse mon regard. Pas de Bonjour. Je dévisage en quelques fractions de secondes les personnes présentes dans la chambre. Il y a là le Docteur Ndelia (représentant visiblement la famille), Christian Adhiayeno le préfet de police et le Docteur Ekagba, représentants eux la police judiciaire… Qui d’autre ? J’ai des doutes sur l’identité d’une ou deux autres personnes. Nkombé Carnot ? Je ne m’en souviens plus. 

Le trio évoqué ci-dessus discute dans un espèce d’aparté. L’âge et les fonctions, séance tenante, nous séparent quelque peu. (J’échangerai plus tard avec mon aîné le Docteur Ndelia.) Sur l’instant, je retiens toutefois que l’on attend Maître Agondjo qui a pris le premier vol d’Air Gabon au départ de Port Gentil. 

J’enregistre immédiatement dans ma mémoire quelques images qui ne me quitteront plus. 

Le lit dans la chambre est au carré, même pas une empreinte d’assise sur les draps. Un plateau de service posé sur une tablette ; une bouteille de champagne non ouverte et deux verres non utilisés. Au sol sur le côté, une paire de chaussures homme posée avec délicatesse. 

Joseph lui, est entièrement vêtu. Il porte même ses chaussettes si ma mémoire ne me fait pas défaut. 

Je note cependant qu’il a la chemise relevée jusqu’au torse et porte, dessinée sur le bas du ventre côté droit, une marque en forme de petit cercle blanc. Au centre de celui ci, la trace bien visible d’une injection identifiée par les deux médecins présents, et qui fait l’objet à voix plus ou moins basse de leurs échanges pendant une bonne partie du temps que nous allons passer ensemble dans cet espace clos, coupé du monde, en attendant l’arrivée de Maître Agondjo, le chef de famille. 

Accrochée à la serrure extérieure de la porte de la chambre, une étiquette, « Don’t disturb » (ne pas déranger).

Une chambre totalement « aseptisée ». Surréaliste ! Un corps manifestement déposé. Aucune trace de violence. La chaise est bien rangée sous le bureau. Les oreillers bien en place. La porte de la salle d’eau est ouverte. Visiblement elle n’a pas été utilisée. Joseph est là au milieu de cette chambre, inerte.

Jusqu’à la destruction de l’hôtel, la chambre aura gardé son lourd secret.   

Quelques jours auparavant, nous venions de faire une tournée dans l’Ogooué Maritime avec Joseph comme chef de délégation pour promouvoir le PGP, annoncer le retour au multipartisme aux populations, et les convaincre de ne plus avoir peur de « parler de politique ». 

À Gamba, pour la petite histoire,  face à la menace de la gendarmerie, le propriétaire de la boîte de nuit locale qui, au départ, avait accepté de nous louer son matériel sonore, va se rétracter. Qu’à cela ne tienne !  Joseph et sa voix de stentor (voix de bronze, aussi forte que celle de cinquante hommes réunis), au grand dam des hommes en tenues, va ameuter les populations environnantes et les abreuver de son discours « souverainiste ». 

Le PGP ! AH Le PGP ! Quelle aventure. Quel rêve ! 

Je revois Guy Nang-Bekale à la manœuvre… Mouity Nzamba, le grand Nan’n Nguéma, Aganga Akèlaguèlo, Jeanne Thérèse et tant d’autres …Souvenir. 

Après l’escapade de Gamba, le lundi 22 mai, nous avions rejoint Libreville via Omboué à bord d’un avion de la compagnie nationale. Dans l’après midi, j’étais passé voir Joseph à son bureau à la SONADIG en compagnie d’Anaclé pour solliciter l’utilisation de quelques chaises à récupérer à son domicile sis entre la Peyrie et  STFO. 

C’était la dernière fois que j’entendais sa voix. Il n’y a jamais eu d’enquête. On connaît la suite.

Autant en emporte la parole libre.

AUX MARTYRS DU GABON

Demande de consultation des documents des Archives

En 2019, la demande de consultation des documents des Archives nationales françaises relative au décès de Joseph Rendjambe a été tout simplement refusée.

Repères bibliographiques

PUBLICATION

  • Thèse en économie

Pour aller plus loin…

  • Histoire du Gabon : des origines à l’aube du XXIe siècle, Nicolas Metegue N’Nah, L’Harmattan, Paris, 2006, 372 p.
  • La Vérité sinon je meurs, Issani Rendjambe, La Doxa, 2014, 84 p.
  • Rendjambe, dans Souffle Équatoriale, Dacres éditions, 2019, 187 p., pp. 51-54

Revue de presse