Martine OULABOU
15 février 1959 – 23 mars 1992

Portrait réalisé par Sosthène BOUNDA
Martine OULABOU MBADINGA, une martyre dans la lutte pour une meilleure éducation au Gabon.
Le syndicat des enseignants de l’éducation nationale (SEENA)
Le syndicat des enseignants de l’éducation nationale (SEENA), créé en 1991, puis devenu SENA, avec un seul E en 1999 lors de son deuxième congrès ordinaire, obéit à l’évolution des mouvements syndicaux au Gabon qui commence durant la période de décolonisation à partir de 1944. Entre 1944 et 1960, les syndicats des travailleurs ont œuvré à l’amélioration des conditions de travail après l’abolition du travail forcé dans les colonies.
Durant la période du monopartisme, les mouvements syndicaux étant prohibés, seule la Conférence Syndicale Gabonaise (COSYGA) avait droit de cité et était partenaire du gouvernement PDG, le Parti Démocratique Gabonais : parti unique, syndicat unique.
Le SEENA naît à la faveur de la Conférence nationale de 1990 avec l’impulsion du multipartisme. Mais tout commence déjà en 1989 avec la CEENA, Coordination des Enseignants de l’Éducation Nationale. Dès sa création en 1991, le SEENA est le syndicat le plus puissant du pays. Il faisait frémir de peur le gouvernement d’Omar Bongo.
Martine OULABOU, une syndicaliste engagée
Martine Oulabou Mbadinga, alors institutrice à l’École publique de Mont-Bouët/Sorbonne d’une classe de CE1, était une syndicalistes très engagée de ce mouvement des enseignants. Il fallait un certain courage pour adhérer à un syndicat comme le SEENA, même après la Conférence nationale. Les pressions et les menaces restaient aussi vives que durant la période du monopartisme.
En Février 1992, le SEENA lance une grève générale et illimitée sur toute l’étendue du territoire national. Leurs revendications : l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, leur plan de carrière, la construction des infrastructures scolaires.
Ce 23 mars 1992, lors de la marche pacifique initiée par les enseignants, Martine Oulabou Mbadinga, 33 ans, se trouvait en première ligne lorsque l’Unité Spéciale d’Intervention (USI), la police anti-émeutes créée en 1991, ouvrit le feu sur les manifestants. Faisant plusieurs blessés dont deux graves : Monsieur Essonghe et Madame Oulabou.
Martine Oulabou trouvera la mort vers 13h à l’hôpital Jeanne Ebory après un passage à la clinique Chambrier. Elle sera inhumée à Ekouk, devenu lieu de pèlerinage, comme un sanctuaire pour tous les enseignants, particulièrement pour les membres du SENA.
Avec la mort de Martine Oulabou, l’espoir de l’amélioration des conditions de l’enseignant, ainsi qu’une certaine évolution dans le secteur de l’éducation étaient perceptibles. Les manifestations qui ont suivi, ont fait trembler le pouvoir en place. Quelques doléances ont pu aboutir pour apaiser certaines tensions.
L’école est restée en situation de léthargie depuis les années 70, lorsque les européens et les gabonais étudiaient encore dans les mêmes établissements, et les enfants des plus nantis y étaient aussi inscrits, tout paraissait bien.
L’école gabonaise n’a pas pu ou su s’adapter au temps. Mais l’espoir que l’enseignement retrouve ses lettres de noblesse lors de cette ascension syndicale, sera trahi par certains leaders syndicaux qui ont succombé aux appels de sirène du pouvoir gabonais, notamment C. Bitougah, Fridolain Mve Messa, et récemment Samuel Ngoua Ngou. L’arme fatale du pouvoir Omar Bongo était notamment la corruption des leaders syndicaux pour affaiblir toute velléité de revendications, d’ailleurs rien n’a changé sous les tropiques.
Comme seul véritable héritage de cette « amazone », l’école Publique du Boul Bess, située boulevard Bessieux (ou Jean Paul 2), baptisé École Martine Oulabou, est devenue un lieu mythique de rassemblement syndical.
Martine, Martyre pour rien ?
Ainsi, malgré la mort de Martine Oulabou, l’école gabonaise n’a pas passé le cap. Elle est même devenue pire que l’école à l’époque coloniale.
Les mêmes revendications de 1989, de 1992, date de la mort de notre héroïne sont toujours d’actualité, à savoir : salaires ou primes impayés, conditions de travail archaïques, matériel didactique vétuste, salles de classes pléthoriques…
Chaque année, les enseignants ont toujours les mêmes revendications légitimes, du pré-primaire à l’Université. Et le pouvoir en place semble toujours l’emporter à l’usure. Cette situation aura à long terme de produire une caste de gabonais moins compétitifs, moins instruits sur le marché international de l’emploi. Au niveau national, des cancres comme citoyens pour une déperdition de la nation, car une nation forte passe d’abord par une bonne formation de ses citoyens.
Martine, Martyre pour rien ? Non. Nous osons espérer de meilleurs lendemains.
Son combat pour une meilleure école perdure avec la date du 23 mars, jour de son décès, institué “Journée Nationale de l’Enseignant” par le décret n°000470/PR/MENICEP du 07 mai 2007 qui “vise à rendre hommage à l’Enseignant pour sa contribution à l’investissement humain, indispensable au développement social, économique et culturel du Gabon” ; grâce à la mobilisation du SÉNAT qui s’est longtemps battu pour que cette date ne soit jamais oubliée.
Ne trahissons pas ceux qui sont morts pour le bien-être du pays, de Germain Mba à Joseph Rendjambé, en passant par Martine Oulabou et Mboulou Beka… Sans oublier ceux de la nuit cauchemardesque du 31 août. Ils méritent notre abnégation et notre témérité dans ce combat noble : l’essor du Gabon.



Hommage et reconnaissance
À Libreville, l’école publique Martine OULABOU située sur le boulevard Triomphal porte son nom.


Dans la province de l’Ogooué-Maritime, un concours d’éloquence dénommé « Concours Provincial d’Art Oratoire MARTINE OULABOU » lui rend hommage.
Repères bibliographiques
Pour aller plus loin
- Décret N° 000470/PR/MENICEP du 07 mai 2007 instituant une Journée Nationale de l’Enseignant
- Martyr Luther Queens, Kemit, 2019