Philippe MORY
28 août 1932 – 7 juin 2016
Un pionnier du cinéma africain
Né en 1932 à Obatanga, dans la région des grands lacs, Philippe Mory commence sa carrière cinématographique en France au milieu des années 1950. D’abord comédien de théâtre, c’est en 1954, qu’il joue dans le court métrage Afrique-sur-Seine réalisé par Paulin Soumanou Vieyra, qui marquera le début de la cinématographie officielle d’Afrique noire.
Repéré par le cinéaste Michel Drach, Philippe Mory devient le premier comédien d’origine africaine à tenir un rôle principal dans un film français avec le long métrage, On n’enterre pas le dimanche, qui obtient le Prix Louis-Delluc en 1959.
De retour au Gabon, en 1961, Mory écrit le scénario de La Cage qui sera réalisé par Robert Darenne, avec Marina Vlady, Colette Duval, et Jean Servais. Ce film qui consacre le retour de Philippe Mory dans son pays marque également le départ du cinéma gabonais. Le film est sélectionné à l’occasion du Festival de Cannes en 1963, une première pour le cinéma sub-saharien et par ailleurs, le premier long métrage tourné au Gabon voire même en Afrique noire indépendante.
La Cage film raconte le parcours d’un jeune médecin africain formé à Paris qui, de retour sur sa terre natale, voit sa docte autorité contestée par les connaissances de guérisseur traditionnel d’un vieux forestier blanc.
Son engagement politique
Philippe Mory était en avance sur son temps. Au Gabon, il n’a pas trouvé toutes les conditions pour se réaliser et éprouver son talent. Pour cela, il était prêt à tout, même à participer à un coup d’Etat. Celui de 1964, qui visait à renverser Léon Mba, le premier président gabonais.
Avec trois amis militaires, il ourdit le putsch lancé dans la nuit du 17 au 18 février 1964. Le président Mba est fait prisonnier sans effusion de sang et sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.
Jean-Hilaire Aubame est nommé chef de l’État, et Philippe Mory devient ministre de la Culture. Pour vingt-quatre heures.
Interview dans Jeune Afrique en 2013, avril 2013
« Il avait reçu le pays lors de l’indépendance, mais il ne voulait pas de la République ; il mettait en place une dictature soutenue et exploitée par l’étranger. Il fallait rendre l’État au peuple, par la force si nécessaire, sans violence autant que possible. »
Durant vingt-quatre heures donc, il devient et demeure ministre de la Culture. Le temps pour la France de faire intervenir le 6e BIMA.
En effet, sur ordre du général de Gaulle, vite prévenu par le directeur zélé du cabinet présidentiel, un certain Albert-Bernard Bongo (qui prit le prénom d’Omar en 1973, lors de sa conversion à l’islam), plus de six cents parachutistes français sont aéroportés à Libreville le 18 février.
« Les Français auraient dû venir pour régler les problèmes mais ils ont tué les petits… Nous ne voulions tuer personne et nous n’avions personne pour le faire, nous n’avions que cent cinquante soldats. Eux, ils avaient la force. »
Les combats ont fait au moins dix-huit morts côté gabonais et un côté français. Philippe Mory s’y rend. Jugé avec ses conjurés, il écope de six ans de travaux forcés. Il sera libéré de la prison de Gros-Bouquet (à Libreville) au bout de quatre ans, gracié par le président Bongo qui vient, en 1967, d’accéder au pouvoir.
C’est en prison que Philippe Mory écrira la majorité des poèmes qui constitueront un recueil qui sera publié en 2015.
En 1990, l’ère des conférences démocratiques ravive en lui la fibre politique, il crée un éphémère parti politique avec lequel il participe à la Conférence Nationale : la Ligue des Indépendants Démocrates Chrétiens. Il parviendra à la même désillusion.
Père fondateur du Cinéma africain
Ainsi donc, après sa libération, engagé dans la promotion du cinéma africain, il participe en 1970 à la création de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI). En 1975, il s’implique également dans la fondation du Centre national du cinéma gabonais (Cenaci), l’actuel Institut gabonais de l’image et du son, basé à Libreville.
Il a réalisé en 1971 son unique long métrage, Les tam-tams se sont tus.
L’histoire d’Abraham, un jeune sculpteur, qui tombe amoureux de la plus jeune épouse de son oncle, qu’il séduit et emmène à la capitale. La dérive de la jeune villageoise à la découverte des plaisirs de la ville déplait au sculpteur, qui lui reproche de s’occidentaliser et d’oublier les valeurs traditionnelles africaines.
Il reprend ensuite sa carrière d’acteur avec Le grand blanc de Bassek Ba Kobhio (1994), un film cru qui retrace l’arrivé du docteur Albert Schweitzer à Lambaréné, sur le fleuve Ogooue.
Invité d’honneur lors du 23ème Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO) qui se tenait du 23 février au 2 mars 2013, il s’est présenté en ces termes :
« Je m’appelle Philippe Mory. Je suis Gabonais. J’appartiens à la tribu des Galoas. De Lambaréné en descendant vers le fleuve, les Galoas s’étendent jusqu’à Ashuka, sur l’Ogoué et autour des lacs environnants. Ma langue maternelle est le Myéné. Les Galoas servirent longtemps d’intermédiaires entre les tribus du haut fleuve et celles des bords de l’océan. Lambaréné fut fondé pour permettre aux petits bateaux à vapeur d’accoster. Le débarcadère permit aux commerçants de faire de cette ville le chef-lieu de l’Ogooué Maritime et l’un des centres les plus actifs du Gabon. Ce qui explique mes origines métisses. Mon père était un forestier blanc. Ma mère était une villageoise galoase. Mon père disparut comme il était venu mais c’était à l’époque le sport national. Très peu d’expatriés repartaient de leur campagne coloniale avec leur progéniture sous le bras. Ma mère n’eut qu’un enfant d’où mon nom, Maury, le fils unique. À l’âge de 7 ans elle m’abandonna sur un banc de sable à quelques pas de la mission Schweitzer ».
Entretien de Philipe Mory, Émission Ciné24 sur Africa24 en 2013
La disparition de Philippe Mory
Le 7 juin 2016 vers 19 heures, les voisins de Philippe Mory ont entendu un coup de feu puis le bruit sourd de quelque chose tombant lourdement. Ayant accouru, ils ont constaté qu’il s’était barricadé chez lui avant de se donner la mort. Il s’est tiré une balle de fusil à pompe.
« L’aura de Philippe Mory a suscité des vocations là où il aurait été impossible de les imaginer. Elle a également permis à beaucoup de trouver l’énergie nécessaire pour s’accrocher dans une Afrique où la pratique du 7ème art en Afrique relève quasiment de l’utopie. Mory, cinéaste peu ordinaire, est un homme généreux. Bien qu’étant un des pionniers du cinéma africain, il demeure encore mal connu. » Imunga Ivunga
Hommage et reconnaissance
À Libreville, un Institut Philippe Maury de l’audiovisuel et du Cinéma a vu le jour en tant que quatrième composante du groupe de l’Ecole de Management du Gabon (EM-GABON). Il est dédié à la formation initiale et continue, en présentiel et en distanciel, dans les domaines de la Communication, du Journalisme de l’Audiovisuel et du Cinéma.
Filmographie
Acteur
- 1955 : Afrique-sur-Seine de Paulin Soumanou Vieyra
- 1955 : La Rue des bouches peintes de Robert Vernay
- 1958 : L’enfant au fennec de Jacques Dupont
- 1959 : On n’enterre pas le dimanche de Michel Drach (Prix Louis-Delluc en 1959)
- 1960 : Les filles sèment le vent de Louis Soulannes
- 1962 : La Cage de Robert Darène (+ scénariste)
- 1994 : Le Grand Blanc de Lambaréné de Bassek Ba Kobhio
- 1996 : Au bout du fleuve de Imunga Ivanga
- 1997 : Orèga de Marcel Sandja
- 1999 : Go zamb’olowi (Au bout du fleuve) de Imunga Ivanga
- 2000 : Les Couilles de l’éléphant de Henri Joseph Koumba Bididi
- 2000 : Dolè de Imunga Ivanga
- 2003 : Le silence de la forêt de Didier Ouenangaré et Bassek Ba Kobhio
- 2005 : Inspecteur Sori le Mamba de Mamady Sidibé
- 2006 : L’ombre de Liberty de Imunga Ivanga
- 2008 : Maléfice de Fernand Lepoko
- 2009 : Le mystère de Joséphine de Christian Lara
- 2010 : L’héritage perdu de Christian Lara
- 2013 : Le collier du Makoko de Henri Joseph Koumba Bidid
- 2013 : La Clé d’Olivier Rénovat Dissouva (Prix de ‘’l’Écran d’Afrique centrale 2013)
Réalisation
- 1972 : Les tams tams se sont tus (Mention spéciale du jury au Festival international du film francophone de Dinard)
- 1978 : Un enfant du village
- 2010 : Tout blanc, Tout noir, Philippe Mory le fils unique co-réalisé avec Philippe Alexandre
Scénariste
- 1963, La Cage
Repères bibliographiques
PUBLICATION
- Un mot en passant, La Doxa Editions, 2021, 62 p.
Pour aller plus loin…
À lire
- Le prix de la liberté, vérités sur Philippe Mory, l’icône gabonaise du cinéma africain, Daniel Franck Idiata, Les Éditions du CENAREST, 2012, 279 p.
À voir
- Philippe Mory chante dans l’émission « Sourires et Chansons » en 1957
- Il était une fois Philippe Mory, un documentaire de Issaka Compaoré, 52min, 2009
- Tout Blanc tout Noir, Moyen-métrage documentaire de Philippe Mory, Philippe Alexandre, 52 min, 2010
- Cinéastes Africains Volume 2, 2012
- Philippe Mory, Pour l’amour du cinéma et des autres, un film documentaire de René Paul Sousatte