Par : La Résistance Gabonaise
À l’attention de : Emmanuel Macron, Président de la République française
Date : 20 mars 2018
Objet : A l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie
Monsieur le Président de la République,
Depuis votre arrivée au pouvoir, vous avez manifesté à plusieurs reprises votre volonté de relancer la francophonie. Lors de votre discours de Ouagadougou du 28 novembre 2017, vous avez même martelé votre volonté d’ouvrir une « nouvelle histoire de la francophonie ».
Nous, Gabonaises et Gabonais en lutte pour la démocratie et la justice, ne pouvons que nous réjouir de ces déclarations quant à votre ambition de tourner la page d’un passé colonial vis-à-vis duquel vous avez marqué vos distances durant la campagne électorale.
Malheureusement, Monsieur le Président Macron, à ce jour, pour nous autres Africains et Gabonais épris de justice et de démocratie, la Francophonie se vit encore et principalement comme la continuation par d’autres moyens de la Françafrique et d’une politique étrangère classique où les populations pèsent bien peu face aux supposés intérêts étatiques. La grave crise qui perdure au Gabon depuis le dernier coup d’Etat militaro-électoral perpétré en août 2016 par M. Ali Bongo Ondimba, dont la famille confisque le pouvoir depuis plus de 50 ans, le rappelle de manière tragique.
Alors que les discours de la France et de la Francophonie institutionnelles font régulièrement la promotion de la démocratie, ses dirigeants se sont refusés à
condamner le coup de force de M. Bongo malgré les preuves massives relevées et publiées par les missions d’observation électorale présentes sur place et envoyées, entre autres, par l’Union européenne et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), la dirigeante de cette dernière étant même allée jusqu’à tenter d’empêcher la publication du rapport dans lequel les observateurs de l’OIF confirment la forfaiture de M. Bongo.
Alors que les discours de la France et de la Francophonie institutionnelles font régulièrement la promotion des droits de l’Homme, ses dirigeants se sont refusés et se refusent encore à condamner les multiples et massives violations des droits humains dont M. Bongo est responsable. Et pourtant de nombreuses preuves ont été produites tant par les Gabonais eux-mêmes que par des observateurs et médias européens quant aux massacres commis, dans les heures et les jours qui ont suivi la proclamation mensongère de la victoire de M. Ali Bongo Ondimba à l’élection présidentielle d’août 2016, par les forces à ses ordres. Sur la même période, plus de 1.100 Gabonais, coupables d’avoir voulu défendre le verdict des urnes, ont fait l’objet de détentions arbitraires dans des conditions dégradantes quand ils n’ont pas été soumis à des actes de torture. Aujourd’hui encore, les droits humains, les libertés fondamentales, notamment celles d’expression, d’association, de réunion et de circulation font encore l’objet de violations chaque jour, les détentions arbitraires et les tortures continuent, comme l’a rappelé Amnesty International dans son dernier rapport annuel et dans le cadre d’une récente action urgente.
Monsieur le Président Macron, nous avons suivi avec attention votre discours de ce jour, à l’Institut de France, relatif à votre stratégie pour promouvoir la langue française dans le monde, notamment en Afrique. Nous sommes malheureusement restés sur notre faim car vous ne nous avez pas parlé. Monsieur le Président, la francophonie ne peut se réduire au partage vertical d’une langue.
Au Gabon, ce dont nous avons le plus besoin ce ne sont pas des moyens pour promouvoir encore plus la langue française.
Au Gabon, la quasi totalité de la population s’exprime déjà en français.
Au Gabon, les luttes pour la démocratie et la justice s’effectuent en français.
Au Gabon, les prisonniers politiques et d’opinion hurlent en français quand on les torture.
Au Gabon, c’est en français que les familles pleurent leurs morts et leurs disparus depuis les massacres de l’été 2016.
Au Gabon, ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’une France et d’une Francophonie à la hauteur des valeurs de paix, démocratie et droits de l’Homme dont elles sont supposées être les hérauts.
Au Gabon, ce dont nous avons besoin, c’est d’une France répondant à l’exhortation que lui adresse spécifiquement la résolution du 14 septembre 2017 du Parlement européen de prendre ses responsabilités pour que la grave crise post-électorale que connaît notre pays trouve une issue juste et pacifique.
Dans ce cadre, nous vous appelons, Monsieur le Président, à œuvrer pour que l’Union européenne, non seulement soutienne les procédures en cours devant la Cour pénale internationale (CPI) ainsi que la demande d’enquête indépendante sur les crimes de la crise post-électorale au Gabon, mais également qu’elle prenne des sanctions contre les responsables de ces crimes, comme prévu par l’article 96 de l’Accord de Cotonou.
La perpétuation de l’actuel régime gabonais serait une catastrophe aussi bien pour nous que pour la France et la francophonie car cela pourrait alimenter de fortes migrations, notamment vers la France et l’Europe, mais pourrait aussi alimenter la désespérance d’une frange de la population qui pourrait devenir sensible à certains discours et certaines idéologies violentes qui déstabilisent et ensanglantent des régions entières en Afrique, en France, en Europe et ailleurs. Seul un Gabon démocratique et apaisé dont les ressources humaines, économiques et naturelles seront gérées au mieux de l’intérêt de son peuple sera un partenaire fiable, durable et stable, dans tous les domaines, pour la France et l’Europe ainsi que pour le développement de l’espace francophone.