Par : L’Observatoire Gabonais sur la Responsabilité sociétaire des Entreprises, Administrations et Industries ( OGARSEAI )

À l’attention de : Jean-Marc AYRAULT, Ministre des Affaires Étrangères et du Développement International

Date : 24 février 2017

Objet : Crise post-électorale au Gabon – Analyse et Alternatives

Monsieur le Ministre,

Comme vous le savez, M. Ali Bongo, avec l’aide de ses hommes liges, a recouru massivement aux fraudes les plus grossières et les plus farfelues ainsi qu’à de
multiples violations flagrantes des lois électorales et constitutionnelles gabonaises pour se faire déclarer vainqueur de l’élection du 27 août 2016. D’ailleurs, de
nombreux membres de la communauté internationale, dont l’Union Européenne, l’Organisation des Nations Unies, la Commission à la Paix et à la Sécurité de l’Union Africaine, ont exprimé leurs doutes sur la sincérité des résultats du scrutin.

Comme vous le savez, dans la nuit du 31 août au 1er septembre 2016, les forces aux ordres de M. Ali Bongo ont attaqué pendant des heures, à l’arme lourde, le quartier général de M. Jean Ping, le vrai vainqueur de l’élection présidentielle, tuant et blessant gravement des dizaines de Gabonais dont l’unique tort est d’avoir voté pour l’alternance.

Comme vous le savez, dans les jours qui ont suivi la proclamation mensongère de sa victoire, des centaines de Gabonais désarmés ont été massacrés par les forces aux ordres de M. Ali Bongo tandis que plus de 1.100 autres (soit l’équivalent de 50.000 personnes, rapportées à la population française) faisaient l’objet de détention arbitraires dans des conditions dégradantes, quand ils n’étaient pas soumis à des actes de torture.

Comme vous le savez, le Parlement européen a adopté le 2 février dernier, à une écrasante majorité, une résolution reconnaissant le caractère frauduleux de la victoire de M. Ali Bongo ainsi que les graves exactions post-électorales dont il s’est rendu coupable, et demandant au Conseil de l’Union Européenne d’envisager des sanctions ciblées contre les principaux responsables gabonais de cette forfaiture et de ces crimes, dans le cadre de l’article 96 de l’accord de Cotonou.

Nous, diaspora gabonaise de France, constatons et regrettons que, malgré tous ces faits, la France ne soit pas pleinement engagée au côté du peuple gabonais. Après avoir déploré dans un premier temps la discrétion et l’extrême prudence de la France au début de la crise post-électorale, nous avons ensuite été choqués par certaines de vos déclarations et de celle du Premier ministre de l’époque qui semblaient acter le coup d’Etat militaro-électoral de M. Ali Bongo. Nous n’avons pas été moins choqués par le silence du Président François Hollande qui, depuis le début de la crise post-électorale gabonaise, n’a pas pris le temps de faire la moindre déclaration à ce sujet.

Cette attitude pour le moins étonnante et décevante de la France tranche singulièrement avec celle qu’elle a adoptée dans d’autres crises récentes en Afrique.
Ainsi, pendant qu’il gardait le silence sur les massacres et détentions massives et arbitraires en train d’être perpétrés au Gabon, le Président Hollande condamnait avec des mots d’une grande force et d’une grande justesse les violences commises en République démocratique du Congo par M. Joseph Kabila contre son peuple qui demandait juste le respect de la constitution. Ainsi, pendant qu’il persistait à garder le silence sur le coup d’Etat militaro-électoral de M. Ali Bongo, le Président Hollande a condamné la tentative de maintien au pouvoir en Gambie de M. Yahya Jammeh avec des mots d’une grande force que les Gabonais auraient aimé entendre eux aussi.

C’est dans ce contexte d’incompréhension que nous, diaspora gabonaise de France, avons appris avec stupeur que votre ministère organise ce jour une réception mettant à l’honneur l’ambassadeur du Gabon en France, M. Germain Ngoyo Moussavou, arrivé au terme de sa mission diplomatique. Cette mise à l’honneur est d’autant moins acceptable pour nous que Monsieur Ngoyo Moussavou a joué un rôle de premier plan dans la fraude électorale massive perpétrée par le pouvoir gabonais lors de l’élection présidentielle du 27 août dernier. M. Ngoyo Moussavou n’ayant pas pu mener à bien sa mission de fraude, pour ce qui concerne les bureaux de vote parisiens, il a purement et simplement décidé d’empêcher, en toute illégalité, la proclamation officielle des résultats relatifs à ces bureaux.

Ce nouvel épisode de la réception offcielle de M. Ngoyo Moussavou nous interroge un peu plus sur la volonté réelle de la France. Pourtant, à quelques mois du choix par le peuple français de son nouveau président, il n’est pas trop tard, Monsieur le Ministre, d’engager la France vers un chemin plus conforme à son Histoire et à ses valeurs, celui de la défense de la démocratie et de l’Etat de droit au Gabon.

Nous, diaspora gabonaise de France, vous engageons à pleinement soutenir et porter la résolution du Parlement européen sur l’Etat de droit au Gabon votée à Bruxelles le 2 février dernier, à en être le héraut et d’agir ainsi activement pour la reconnaissance du choix libre et souverain du peuple gabonais. Il s’agit notamment d’œuvrer pour que la France soit en première ligne afin de :

  • faire lancer par le Conseil de l’UE la procédure prévue à l’article 96 de l’accord de Cotonou ;
  • d’initier et imposer, dans ce cadre, des sanctions ciblées (gel et surveillance des avoirs, interdiction de voyage et de séjour dans l’espace européen,…) contre les responsables du coup d’Etat électoral et des exactions post-électorales au premier rang desquels Ali Bongo Ondimba, Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle, René Aboghe Ella président la Commission électorale (CENAP), Mathias Otounga Ossibadjouo, alors ministre de la Défense nationale, Pacôme Moubelet Boubeya, alors ministre de l’Intérieur, Alain Claude Bilie By Nze, ministre de la communication, le général Grégoire Kouna, chef de la Garde Républicaine ;
  • saisir le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies et y faire adopter une résolution en vue de diligenter une enquête indépendante sur les arrestations arbitraires, les disparitions et les massacres commis par les forces aux ordres de M. Ali Bongo non seulement depuis le 31 août 2016 mais également dans les semaines qui ont précédé l’élection présidentielle ;
  • soutenir le travail de la Cour pénale internationale (CPI) dans le cadre de la saisine dont elle fait l’objet

Monsieur le Ministre, vous pouvez également intervenir dans le cadre des relations bilatérales entre la France et le Gabon. Nous vous engageons notamment à :

  • rappeler l’attachement de la France au respect des droits de l’Homme en pressant le pouvoir gabonais de libérer toutes les personnes détenues pour des motifs politiques, notamment l’ancien député Bertrand Zibi Abeghé et Landry Amiang, et de mettre fin aux atteintes aux libertés publiques et civiles ;
  • suspendre et réviser la coopération militaire et sécuritaire : les forces de répression du pouvoir gabonais comprennent encore un grand nombre de coopérants français à l’instar du commandant de police Christophe Blu qui assiste le chef de la police nationale gabonaise, très active dans la répression post-électorale ;

Une action forte et déterminée de votre part en faveur de la démocratie au Gabon est donc absolument nécessaire non seulement pour prévenir tout risque de dégradation irrémédiable de la situation interne de ce pays mais également pour éviter une dangereuse déstabilisation d’une sous-région en ébullition et dont l’implosion ne manquera pas de produire ses effets jusqu’en France et en Europe.

Une inaction et un manque de fermeté de la France et de l’UE fragiliseraient sérieusement les tenants de la lutte pacifique et démocratique au Gabon. Elle
enverrait également un signal et un message dangereux aux régimes autoritaires et dictatoriaux du continent qui se sentiraient ainsi confortées.

La perpétuation de l’actuel régime gabonais serait une catastrophe aussi bien pour nous que pour vous car cela pourrait alimenter de fortes migrations, notamment vers la France et l’Europe, mais pourrait aussi alimenter la désespérance d’une frange de la population qui pourrait devenir sensible à certains discours et certaines idéologies violentes qui déstabilisent et ensanglantent des régions entières en Afrique, en France, en Europe et ailleurs. Seul un Gabon démocratique et apaisé dont les ressources humaines, économiques et naturelles seront gérées au mieux de l’intérêt de son peuple sera un partenaire fiable, durable et stable, dans tous les domaines, pour la France et l’Europe.