LETTRE OUVERTE À L’ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE

Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre de la préparation de l’élection présidentielle du 27 août 2016 au Gabon, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a dépêché, selon un communiqué en date du 22 août 2016, une mission d’information et de contacts. La demande de mission serait venue directement des autorités et des acteurs politiques gabonais. Elle aurait été conduite par M. Ahmedou OULD ABDALLAH, ancien ministre des Affaires étrangères de la République islamique de Mauritanie, et composée d’un parlementaire et de personnalités et experts provenant de plusieurs Etats membres. L’OIF indique sur son site internet qu’un « rapport sera produit à l’intention de la Secrétaire générale, assorti de recommandations concrètes devant contribuer à l’organisation d’une élection présidentielle libre, fiable, transparente et inclusive ». Or, à ce jour, aucun rapport n’a été rendu public par votre organisation, contrairement aux missions de 2005 et de 2009 au Gabon.

L’absence de document arrêtant la position de l’OIF sur le scrutin observé n’a pas empêché Madame la Secrétaire Générale, ainsi que des membres de la mission, de prendre position sur la politique gabonaise depuis septembre 2016. Le sénateur français Christophe FRASSA, observateur lors de cette élection, a par exemple publié sur son compte Twitter une photo de la rencontre entre les membres de la mission d’observation électorale de l’OIF et le ministre de l’intérieur gabonais. Il a indiqué également avoir supervisé le vote du centre Lalala 1 où 8075 électeurs étaient inscrits. C’est ce même sénateur qui a affirmé, toujours sur Twitter, à propos du vote ACP-UE sur le Gabon, que « le bon sens (l’avait) emporté ». Compte tenu de l’impunité dont bénéficient les responsables de la répression post-électorale, la position de ce responsable politique sonne comme une provocation pour les victimes et leurs familles. Le 6 février 2017, Madame Michaëlle Jean a félicité le Gabon via son compte Twitter, pour la réussite de la Coupe d’Afrique des Nations alors même que celle-ci a été notamment marquée par l’arrestation arbitraire des opposants Marceau Malekou, Melvin Gondjout, Alex Haore et Barry Ndimal lors d’une manifestation pacifique.

L’ensemble de ces prises de position soulève en tout cas un certain nombre de questions auxquelles nous souhaiterions que l’OIF réponde :

1) Pourquoi votre organisation, cinq mois après le scrutin, n’a-t-elle toujours pas publié son rapport d’observation? Quand ce rapport sera-t-il rendu public ?

2) Avec en perspective votre séminaire sur la biométrie électorale tenue du 5 au 7 décembre 2012 en collaboration avec le RECEF à Libreville, quelles sont vos conclusions sur la mise en application de l’identification biométrique par les autorités gabonaises au cours des dernières élections présidentielles ?

3) Un sénateur et observateur de l’élection, M. Christophe FRASSA en l’occurrence, peut-il prendre position sur le scrutin au Gabon alors même qu’aucune position sur le sujet n’a été arrêtée par l’OIF?

4) Compte tenu du rapport très critique de la mission d’observation de l’Union Européenne, et plus récemment des doutes sérieux soulevés par le Parlement Européen sur le résultat des scrutins, n’est-ce pas le rôle de l’OIF que d’apporter de nouveaux éléments afin permettre un jugement objectif quant à la validité du scrutin?

5) Enfin quelle position adopte l’OIF concernant les violations des droits humains commises à la suite des élections et qui se perpétuent d’une part avec l’arrestation d’opposants et l’emprisonnement arbitraire de leaders d’opinion de premier plan, tels que Bertrand Zibi et Landry Amiang (toujours en détention depuis le mois de septembre 2016) et de 4 jeunes manifestants pacifiques anti-Coupe d’Afrique des Nations, et d’autre part une répression policière exercée à l’encontre des élèves du secondaire à Libreville et Port-Gentil, ainsi que des employés en grève de la compagnie Maurel et Prom ?

En tant que coalition internationale engagée dans le monde francophone, nous espérons voir l’OIF prendre fermement position sur la démocratie, l’Etat de droit et les droits humains comme le stipule l’objectif premier de la Charte de la Francophonie. Nous aimerions croire à une organisation de la Francophonie qui soit enfin au service du développement plutôt qu’un organe éloigné des réalités quotidiennes des francophones, et en premier lieu des Africains qui, par millions, réclament qu’une page politique se tourne.

Annexes:

1. Rapport Finale de la Mission d’observation électorale de l’UE en République gabonaise de l’élection présidentielle du 27 août 2016 
   https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/gabon_moe_rapport_final_0.pdf
2. Résolution du Parlement européen du 2 février 2017 sur la crise de l’état de droit en République démocratique du Congo et au Gabon (2017/2510(RSP)) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2017-0017+0+DOC+PDF+V0//FR
3. Un recours abusif à la force par les autorités gabonaises
   1. Grève des enseignants et élèves du secondaire
      http://www.rfi.fr/afrique/20170222-gabon-education-greve-enseignants-enseignements
      http://www.union.sonapresse.com/gabon-culture-societe/du-cote-des-parents-deleves-la-tutelle-sans-etat-dame-la-fenapeg-fustige-15423
   2. Répression de la grève des employés de Maurel et Prom
      http://observers.france24.com/fr/20170227-gabon-onal-maurel-prom-grevistes-molestes-police-site-petrolier-actionnaires
   3. Arrestation de manifestants pacifiques lors de la Coupe d’Afrique des Nations
      http://www.africanews.com/2017/01/27/gabons-political-economic-impasse-casts-shadow-on-afcon-2017/
4. Prise de position de M. Frassa 
   https://twitter.com/C_Frassa/status/811881757519835137