Par : L’Observatoire Gabonais sur la Responsabilité sociétaire des Entreprises, Administrations et Industries ( OGARSEAI )

À l’attention de : Père François d’Antin, Diocèse de Paris, Paroisse Saint-Pierre De Chaillot

Date : 23 novembre 2017

Objet : Célébration de la messe de Requiem de Léon MBA

Monsieur,

Le 27 novembre 2017, vous célébrerez une messe en votre Eglise Saint-Pierre-de-Chaillot à l’initiative de l’Ambassade du Gabon à Paris. Cette célébration des ambassadeurs illégitimes d’un pouvoir dictatorial vieux de 50 ans, constitue un affront supplémentaire fait au peuple gabonais. Rappelons pourquoi en quelques faits.

Lors de l’élection présidentielle du 27 août 2016 au Gabon, le peuple a massivement porté son choix sur le candidat unique de l’opposition Monsieur Jean Ping. Le 31 août 2016, le candidat sortant, Ali Bongo Ondimba, s’est livré à un véritable coup d’État militaro-électoral, d’une part aidé par une commission électorale à sa solde, en se faisant proclamer vainqueur. Et d’autre part, en faisant commettre par des forces armées de véritables massacres, actes de torture et autres exactions sur les gabonais, imaginant ainsi refuser au peuple son choix souverain.

Ce 31 août 2016, dans un déni de démocratie effarant, le ministre de l’intérieur, Pacôme Moubelet Boubeya, déclare qu’Ali Bongo Ondimba est réélu. Après l’annonce de ces résultats, une manifestation pacifique de contestation des gabonais a été spontanément organisée. Elle a été réprimée avec violence par les forces de sécurité et de défense.
Dans la nuit, c’est le quartier général de campagne de Jean Ping qui a été pris d’assaut par des forces armées. Des dizaines de personnes ont été tuées, un millier de personnes a été arrêté et emprisonné (détentions arbitraires dans des conditions dégradantes, actes de torture). On compte encore aujourd’hui de nombreux disparus.

Face à ce coup d’État électoral et à ces violences, différents observateurs internationaux ont réagi :

  • la Mission d’Observation Électorale de l’Union Européenne a constaté des anomalies qui « mettent en question le processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection » ;
  • la Mission d’Observation de l’Union Africaine a remis en cause les procès-verbaux de la province du Haut-Ogooué, « clairement établis, conformément aux textes », dont la « lisibilité est si nette qu’ils ne peuvent que susciter des interrogations » ;
  • la Mission d’Information et de Contacts de l’Organisation Internationale de la Francophonie a souligné que la « différence de traitement entre les résultats du Haut-Ogooué et ceux de l’Estuaire n’a pas permis de lever tous les doutes sur la sincérité des résultats tels qu’issus des urnes » ;
  • le Parlement Européen a adopté deux résolutions contre le Gabon, les 2 février et 14 septembre 2017 qui :
    • « considère que les résultats officiels de l’élection présidentielle manquent de transparence et sont extrêmement douteux, ce qui a pour effet de remettre en cause la légitimité du président Bongo » ;
    • condamne vivement les violences électorales, violations graves des droits de l’Homme, arrestations arbitraires, détentions illégales et intimidations politiques ;
    • demande au Conseil de l’Union Européenne d’envisager des sanctions ciblées contre les principaux responsables gabonais de cette forfaiture et de ces crimes, dans le cadre de l’article 96 de l’accord de Cotonou ;
    • demande une enquête indépendante sous l’égide de l’ONU pour faire la lumière sur les exactions commises ;
  • la Cour Pénale Internationale a dépêché une mission d’enquête dans le cadre d’un examen
    préliminaire sur les accusations de crimes contre l’humanité, du 20 au 22 juin 2017 à Libreville.

De son côté, depuis cette élection, la diaspora gabonaise a mené de très nombreuses actions dans tous les pays où elle est présente et au niveau des instances européennes et internationales. En France, l’une de ses actions les plus emblématiques est sans conteste la marche qu’elle organise chaque samedi, depuis le début de la crise postélectorale, entre la place du Trocadéro et l’ambassade du Gabon à Paris.

Nous, diaspora gabonaise de France, constatons et regrettons que, malgré tous ces faits, l’Église catholique n’ait pas pris la parole alors que les valeurs essentielles du vivre ensemble sont totalement remises en cause au Gabon.

Au contraire, par le biais de Monseigneur Basile Mve Engone, Archevêque du diocèse de Libreville au Gabon, les populations gabonaises considèrent que l’Église catholique collabore avec le pouvoir dictatorial en place.

En effet, Monseigneur Basile Mve Engone ne cache pas ses liens avec les plus hautes autorités gabonaise depuis des années et était ainsi allé jusqu’à célébrer le samedi 1er octobre 2016, en la Cathédrale Sainte-Marie de Libreville, une messe d’action de grâce « afin que Dieu protège les juges constitutionnels » dont Marie-Madeleine Mborantsuo, Présidente de la Cour Constitutionnelle depuis 1991, compagne de l’ancien Chef de l’Etat Omar Bongo Ondimba, et responsable de la validation le 23 septembre 2016, de la réélection frauduleuse d’Ali Bongo Ondimba.

Cet acte est d’autant plus consternant qu’aucune messe n’a officiellement été célébrée en la mémoire des victimes de la crise post-électorale ou en soutien aux familles de ces victimes. Pire, le père Yannick Obiang Edou a été interpellé le 05 septembre dernier par les services de la Direction Générale des Recherches (DGR) au motif d’avoir célébré le 31 aout 2017 et à la demande des familles, une messe en mémoire des martyrs de l’élection présidentielle. Il a depuis été envoyé en mission au Mexique.

C’est dans ce contexte de défiance que nous, diaspora gabonaise de France, avons appris avec incompréhension que l’Église catholique allait participer le lundi 27 novembre 2017 à l’exposition Léon Mba organisée par l’ambassadeur du Gabon en France. Cette exposition et la contribution de l’Église sont d’autant moins acceptables pour nous que l’Ambassade du Gabon à Paris a tenté de jouer un rôle dans la fraude électorale perpétrée par le régime lors de l’élection présidentielle du 27 août 2016. Et au vu des résultats défavorables pour eux, avait en toute illégalité empêchée leur proclamation officielle.

L’Eglise catholique ne peut s’opposer aux choix institutionnels pour autant que les principes spirituels sont respectés. Se taire dans les cas contraires relèverait de l’infidélité au message du Christ que l’Eglise se doit, selon Saint-Paul de « répéter à temps et à contre temps ».

En effet, rappeler le respect pour et par tous, et notamment par les acteurs politiques, de quelques grands messages de la parole relève du rôle de l’Eglise :

  • la valeur absolue de la personne humaine parce que chaque être humain tire la sienne de Dieu, à l’image duquel nous avons tous été créés. Et parce c’est cette valeur qui devrait être la fin véritable de toute politique ;
  • la nécessité de s’occuper des futures générations car l’enfant est d’abord un cadeau de Dieu et la postérité qu’il symbolise est un signe de bénédiction divine.
  • l’exigence de porter une attention toute particulière envers les pauvres, en lien avec la miséricorde
  • la recherche de la justice, fondement à minima de la paix sociale, mais aussi modalité première des relations non seulement entre individus, mais aussi entre Dieu et ses fidèles
  • le souci du bien commun que le Concile Vatican II avait définit comme « l’ensemble des conditions qui permettent tant aux membres qu’au groupe d’atteindre plus aisément et plus rapidement leur perfection »

Enfin comme le disent si bien les Psaumes 9 ou 140, Dieu n’oubliera pas la clameur des affligés et qu’il fait droit au misérable, justice aux indigents.

C’est parce que nous, diaspora gabonaise en France, enfants d’un pays à majorité chrétienne et immigrés dans un pays de tradition et à majorité chrétienne, nous luttons pour la reconnaissance et l’application de ces préceptes, qu’il nous apparaît incompréhensible que l’Eglise catholique s’associe ici en France et comme au Gabon à des laudateurs d’un régime illégitime et mortifère, incapable de reconnaître la volonté clairement exprimée du peuple et encore plus grave, en s’en prenant à lui.

Le Pape Jean Paul II le soulignait pourtant, « L’exercice du pouvoir politique doit se baser sur l’esprit de service qui, joint à la compétence et à l’efficacité nécessaires, est indispensable pour rendre « transparente » et « propre » l’activité des hommes politiques, comme du reste le peuple l’exige fort justement. Cela requiert la lutte ouverte et la victoire contre certaines tentations, comme le recours à des manœuvres déloyales, au mensonge, le détournement des fonds publics au profit de quelques-uns ou à des fins de « clientélisme », l’usage de procédés équivoques et illicites pour conquérir, maintenir et élargir le pouvoir à tout prix. ».

Or avec l’organisation de cette messe dans votre église le 27 novembre 2017, au cours d’une semaine d’exposition dont l’objectif réel est de célébrer le cinquantenaire de la dictature de la famille Bongo Ondimba, à la tête du Gabon depuis le 2 décembre 1967, nous, peuple gabonais nous sentons encore une fois abandonné par l’Église catholique.

En vérité nous vous le disons, cela constitue une humiliation pour nous.

Nous vous rappelons pour terminer que lors de l’angélus du dimanche 29 octobre dernier, le pape François s’est exprimé sur la crise politique au Togo, évoquant « les espérances et les légitimes attentes » des Togolais. Les attentes du peuple gabonais ne sont pas moins porteuses d’espoir ni de légitimité. La paix et le respect de la légalité que le Saint Père avait appelé le 11 septembre 2016 ne sont malheureusement toujours pas là. C’est donc avec les plus grands égards que nous vous demandons de reconsidérer la célébration de cette messe en votre église.

Nous vous prions d’agréer, Mon Père, l’expression de nos salutations respectueuses.

PS : Veuillez trouver en pièces jointes les résolutions du Parlement Européen concernant le Gabon

Références :
http://www.rfi.fr/afrique/20160901-gabon-le-quartier-general-jean-ping-pris-assaut-forces-securite
https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/gabon_moe_rapport_final_0.pdf
http://www.eglisecatholique-gabon.org/interpellation-et-relaxe-du-pere-yannick-obiang-edou.html