Par : La Diaspora et LA Société civile ( Gabon / France )

À l’attention de : MM. Gerry Gielen, chef de Division Afrique Centrale, EEAS et Roberto Rensi, EEAS

Date : 20 décembre 2019

Objet : Reprise du dialogue politique entre les autorités gabonaises et l’Union européenne

Préambule

Le présent mémorandum s’inscrit dans le cadre de la recherche des solutions viables et crédibles au règlement de la crise qui perdure au Gabon depuis l’élection présidentielle du 27 aout 2016. Par ailleurs, il dénonce et disqualifie de facto le récent « dialogue » entre les autorités gabonaises et Madame l’ambassadrice représentant l’Union Européenne au Gabon, qui n’a nullement pris en compte les préoccupations du peuple gabonais, victime de graves violations de ses droits fondamentaux. Ce choix (délibéré ?) de tenir à l’écart les principales victimes des atrocités commises par le régime gabonais à la suite de l’élection de 2016 est, non seulement, de nature à exacerber les tensions au plan national, mais en outre, il participe à entamer un peu plus la crédibilité de la communauté internationale aux yeux des populations.

Rappel des faits

Le 18 octobre 2017, les autorités gabonaises avaient unilatéralement interrompu le Dialogue Politique Intensifié avec l’Union européenne. Pendant près de deux ans, l’ambassadeur représentant de l’UE au Gabon, M. Helmut Kulitz, était quasiment considéré comme persona non grata. Le Gabon réagissait ainsi à l’adoption de la résolution par le Parlement européen, votée le 14 septembre 2017, remettant en cause la « réélection d’Ali Bongo Ondimba » en août 2016 et demandant de faire toute la lumière sur les tueries et autres violations des Droits humains durant cette période.

Il convient de rappeler que pendant les jours qui ont suivi la proclamation des résultats par la Cour constitutionnelle (une institution dirigée depuis plus de 20 ans par Mme Marie-Madeleine Mborantsuo, par ailleurs belle-mère d’Ali Bongo), le régime a perpétré des tueries de masse au sein de la population. Il y a eu notamment l’attaque du QG du candidat Jean Ping par des moyens militaires aériens et des troupes au sol. En outre, de nombreux assassinats, disparitions forcées et arrestations arbitraires de citoyens ont été enregistrés à travers tout le pays pendant la première quinzaine du mois de septembre 2016.

À ce jour, on ne sait toujours pas combien de personnes ont été tuées, portées disparues ou blessées. Cette situation avait conduit l’UE à demander, le 17 octobre 2017, l’ouverture d’une « enquête indépendante » sur ces violences d’une ampleur inédite au Gabon.

Le 25 novembre 2019, la nouvelle ambassadrice, Madame Rosario Bento Pais a décidé de reprendre un dialogue qui ne peut aucunement être celui du Dialogue Politique Intensifié qui devait, suivant les Accords de Cotonou, se clore dans les 120 jours à compter de la date du 13 septembre 2017. Il est à noter que l’interlocuteur principal des membres de l’Union Européenne a été M. Alain-Claude Bilie Bi Nze, qui était à l’époque des faits porte-parole du Président Ali Bongo, et ministre de la Communication d’un gouvernement gabonais qui a fait voter la loi n°019/2016 portant Code de la Communication en République gabonaise, loi inconstitutionnelle et en violation des Droits humains. Alors, que peut-on attendre d’un tel interlocuteur ? La question mérite d’être posée.

Maintenant que les deux parties ont convenu de reprendre un dialogue et qu’il a été considéré comme clos le 15 décembre 2019, le peuple gabonais, meurtri
comme jamais, attend des réponses claires sur des points essentiels en rapport avec le respect des droits humains :

A – La libération sans délai de tous les prisonniers politiques
B – L’examen général de la situation des exilés et réfugiés politiques
C – La mise en place d’une commission d’enquête internationale et indépendante chargée de faire la lumière sur les tueries et violences post- électorales de 2016
D – La prise en compte de la liste des responsables politiques et administratifs gabonais contre lesquels des sanctions ciblées doivent être envisagées.

A – Les prisonnier politiques

Le Gabon est un pays en état d’urgence. Aucune voie par le dialogue avec les autorités en place ne peut permettre au peuple gabonais de trouver une sortie de crise. Pressions et répressions sont les sorts qui sont réservés aux citoyens qui défendent les valeurs démocratiques et républicaines de leur pays.

Landry Amiang Washington (Arrêté le 12 juillet 2016), Bertrand Zibi Abeghe (Arrêté le 1er septembre 2016), Yeo Sihifowa Namogoh (Arrêté le 1er septembre 2016), Pascal Oyougou (Arrêté le 8 septembre 2017), Ballack Obame (Arrêté le 21 janvier 2019), Patrick Oyabi (Arrêté le 27 juin 2019), Privat Ngomo (Arrêté le 12
juillet 2019), Crépin Dieket (Arrêté le 15 août 2019), Armel Mouendou Mbina (Arrêté le 4 octobre 2019) et bien d’autres restés dans l’anonymat par manque de
moyen et/ou peur de représailles au niveau des familles.

Types d’accusation

  • Offense au Chef de l’État
  • Instigation aux actes et manœuvres de nature à provoquer des troubles ou manifestations contre l’autorité de l’État.
  • Instigation aux violences et voies de fait, trouble à l’ordre public.
  • Détention illégale d’arme à feu (sans preuve)
  • Falsification, publication de faux résultats de l’élection présidentielle d’août 2016 (sans preuve)
  • Complicité dans l’affaire dite du coup d’Etat du 7 janvier 2019.
  • Association de malfaiteurs, vol qualifié, atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, séquestration et dégradation des biens publics.

Emprisonnements arbitraires

À titre d’exemple, Landry Amiang Washington a été détenu pendant deux ans et demi en prison sans être jugé, avant d’être présenté une première fois devant le juge le 22 mars 2019. Il a été condamné à trois ans de prison dont 4 mois fermes pour outrage à Ali Bongo et appel à l’insurrection contre le régime de Libreville, assorti d’une amende d’un million de francs CFA. Il aurait dû recouvrer la liberté le jeudi 18 avril 2019, sa peine étant déjà purgée et l’amande réglée.

Conditions de détention

Au-delà des situations d’emprisonnements arbitraires, nous tenons à souligner et décrire les conditions de détentions en milieu carcéral (chiffres évoqués : 3000 détenus pour 500 places). Les locaux sont dans un état de délabrement avancé avec une surpopulation carcérale potentiellement explosive, sans aucune distinction entre mineurs et adultes. En plus des pratiques de tortures, le détenu est quotidiennement soumis à un traitement ayant pour intention délibérée de l’humilier.

L’administration pénitentiaire n’est pas toujours en mesure d’apporter les soins médicaux pourtant nécessaires à certains détenus, en dépit de la fragilité de leur santé suite aux tortures subies et aux maladies contractées en prison par manque d’hygiène.

En juillet 2019, lors de son audience devant les juges, Bertrand Zibi a décrit les tortures qu’il a subies :

  • au moment de son arrestation, il sera jeté, presque nu, dans une cellule pleine d’excréments où il y passera 4 jours. Il en ressortira le corps infesté d’abcès et de boutons.
  • Il passera ensuite 45 jours dans une cellule sans lumière, ni latrines, avec 25 autres détenus pour une capacité de 5 personnes.
  • Il a décrit un véritable climat de mort et de terreur à la prison centrale de Libreville.

B – Les exilés

Le Gabon vit un terrorisme d’État, avec des rondes de militaires à toutes les heures, des escadrons de policiers et gendarmes dans toutes les artères des grandes villes. Dans ce climat de répressions, un certain nombre de citoyens a fait le choix contraint de l’exil, principalement au Cameroun, au Sénégal, en Afrique du Sud et surtout en France.

C – La mise en place d’une commission d’enquête internationale et indépendante chargée de faire la lumière sur les tueries et violences postélectorales de 2016

Il est établi par de nombreux témoignages que les autorités gabonaises ont planifié et ordonné de réprimer dans le sang les contestations, avec l’intervention de milices privées et de mercenaires étrangers, des éléments de la police judiciaire encagoulés (appelés « Escadrons de la mort »), des forces de Gendarmerie, de l’Armée gabonaise et de la Garde Républicaine.

Le bilan de cette répression aveugle et sauvage dans les principales villes du Gabon (Libreville, Port-Gentil, Oyem, Lambaréné, Mouila) a fait état de centaines de morts et près de 1100 personnes arbitrairement arrêtées, emprisonnées et torturées dans les geôles de la Direction Générale de la contre ingérence et de la Sécurité Militaire (B2), de la Direction Générale des Recherches (DGR), de la prison centrale, du CEDOC, de la FOPI (camp de police) et d’autres lieux inconnus.

Au vu de ces faits, il est plus qu’urgent qu’une commission d’enquête internationale et indépendante procède à l’identification des victimes, mais également des exécutants et des commanditaires. La fin de l’impunité dont jouissent les criminels au pouvoir est à ce prix.

D – La liste des responsables politiques et administratifs gabonais contre lesquels des sanctions doivent être prises

Au sommet mondial de septembre 2005, présidé par M. Jean Ping, Président de l’Assemblée générale de l’ONU, la notion de terrorisme a été pour la première fois clairement définie : « La prise pour cible et le meurtre délibéré de civils et de non-combattants ne peut être justifiée ou légitimée par aucune cause et revendications.» Ce qui s’est passé dans la nuit du 31 août 2016 et pendant les jours suivants est un acte de terrorisme dont les acteurs sont clairement identifiés. Ils doivent donc répondre de leurs actes. Dans ce contexte, l’Union Européenne se doit de mettre en place et appliquer des sanctions ciblées à l’encontre des personnes citées ci-dessous :

  1. Ali Bongo Ondimba, Président de la République
  2. Sylvia Bongo Ondimba, épouse du président
  3. Frédéric Bongo Ondimba, Directeur des services spéciaux de la Garde présidentielle
  4. Marie-Madeleine Mborantsuo, président de la cour constitutionnelle
  5. René Aboghe Ella, président de la commission électorale
  6. Mathias Otounga Ossibadjouo, ministre de la Défense
  7. Pacôme Moubelet Boubeya, ministre de l’Intérieur
  8. Lambert Noël Matha, Secrétaire général du ministère de l’Intérieur
  9. Alain-Claude Bilié-Bi-Nzé, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement

Annexes

Déclaration de Federica Mogherini, Porte-parole de l’UE, publiée sur le site de l’organisation le 28 mars : «L’Union européenne reste convaincue que seul un dialogue réellement inclusif et débouchant sur des réformes structurelles peut apaiser les tensions politiques et sociales au Gabon».
Dans cette déclaration, l’UE a réaffirmé sa position en invitant le gouvernement gabonais à s’engager dans un dialogue politique intensifié, dans le respect de l’accord de Cotonou, et dans l’intérêt de la coopération future, tout en appelant au plein respect des libertés fondamentales et à la transparence, en particulier dans les questions liées aux droits de l’homme. En outre, l’UE réitère son appel de mettre en place dans les meilleurs délais une enquête indépendante sur les allégations de violations des droits de l’homme pendant la phase électorale et post-électorale.

Le 3 février 2107, les députés européens ont adopté une résolution dans laquelle ils soulignent que les « résultats de l’élection présidentielle de 2016 au Gabon ont été « non transparents » », « hautement douteux » et remettent « en cause la légitimité du Président Bongo ». Ils pointent aussi du doigt le non-respect des droits de l’Homme et l’absence d’élection transparente en expliquant que « c’est ce qui a fait plonger le pays « dans une longue période d’instabilité politique et de violence ». Ils rappellent aussi que les manifestations ont été « violemment réprimées » et ont entraîné « la mort de plusieurs personnes », que les répressions continuent contre les militants de l’opposition et de la société civile, et déplorent que la liberté des médias se soit encore plus détériorée. Mais surtout, la résolution invite le Conseil Européen à « envisager d’imposer des sanctions ciblées aux responsables des violences post-électorales, des abus des droits de l’homme et du sabotage du processus démocratique dans le pays », et ce au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou.

Selon l’eurodéputée française Marie-Christine Vergiat, la MOUE n’a pas pu tirer toutes les conséquences de ces observations du fait de la « reconnaissance implicite des résultats par le gouvernement français. » Michèle Rivasi, autre eurodéputée française, considère pour sa part que l’Europe est présente vis-àvis
de Kabila en République Démocratique du Congo, mais qu’au Gabon celleci est « assez absente. Peut-être parce qu’il y a la présence française qui n’est pas assez dynamique pour montrer les aberrations qu’il y a eu au niveau de ces élections »

Chronologie du Dialogue Politique Intensifié

  • 13 septembre 2017 : Première réunion portant sur le Dialogue National Inclusif qui s’était tenu de mars à mai 2017 à Angondjé.
  • 3 octobre 2017 : Réunion avec le Gouvernement consacrée aux réformes électorales
  • 6 octobre 2017 : Échange avec la Cour constitutionnelle 2017, en présence de plusieurs membres du Gouvernement, portant sur le rôle de la Cour dans le processus électoral.
  • 17 octobre 2017 : Réunion relative aux droits de l’Homme, et notamment le traitement des violences post-électorales.
  • 23 octobre 2017 : Fin du Dialogue intensifié suite à une demande émise par l’Union européenne le 18 octobre. Le Gabon ne donnera suite à aucune demande d’enquête internationale sur les violences postélectorales d’août et septembre 2016, considérant que seule la CPI peut mener des enquêtes.
  • 16 janvier 2018 : fin du temps de la consultation défini suivant les accords de Cotonou à 120 jours maximum.
  • 25 novembre 2019 : Reprise du Dialogue Politique Intensifié
  • 15 décembre 2019 : Fin du Dialogue Intensifié avec comme résolutions :
    • Réparation aux victimes qui ont porté plainte
    • État de droit, et notamment de la Constitution et des dispositions garantissant les libertés fondamentales et la transparence et la crédibilité des élections
    • Mise en place d’une commission technique
    • Financement UE

Les Violations de Droits humains au Gabon

I – Violation type 1 : Atteintes à la liberté d’expression et interdiction de manifester.
II – Violation type 2 : Emprisonnements arbitraires et Tortures.
III – Violation type 3 : Disparitions forcées.