Par : L’Observatoire Gabonais sur la Responsabilité sociétaire des Entreprises, Administrations et Industries ( OGARSEAI )

À l’attention de : Emmanuel Macron, Fondateur d’En Marche et Candidat à l’élection présidentielle

Date : 4 mai 2017

Objet : Crise post-électorale au Gabon – Analyse et Alternatives

Introduction

Les élections présidentielles se sont déroulées au Gabon au cours d’une année qui était considérée, une fois de trop, comme cruciale pour la vie électorale et le cours de la démocratie, sur le continent africain. Plusieurs analystes, du monde académique aux organisations internationales, en passant par les plateformes associatives, s’accordent sur cette vision. Le scrutin présidentiel du 27 août a revêtu la même importance pour le peuple gabonais, d’autant plus qu’à une semaine du scrutin, une stratégie d’unification de l’opposition est venue servir ce dessein. L’électeur gabonais sur le sol national, comme celui vivant à l’étranger, s’est effectivement attaché dans un élan collectif significatif, à réaliser cette attente d’alternance.

Dans le contexte créé par la crise post électorale au Gabon, la diaspora gabonaise, qui manifeste, notamment en France depuis 8 mois, a révélé deux caractères principaux : une puissance sans précédent dans l’opinion internationale et sa dimension historique, depuis l’indépendance du Gabon en 1960.

L’étonnement avec lequel le monde a découvert, depuis la crise post-électorale, la question gabonaise à travers cette mobilisation, notamment à travers la Diaspora, justifie la nécessité (I) d’une brève synthèse de la genèse du processus politique qui a conduit au succès de Jean PING ; (II) de rappeler les enjeux de la crise post-électorale en faisant ressortir l’agenda d’une sortie de l’impasse dans laquelle se trouve le Gabon et les perspectives post crises de redressement du pays.

I- Brève synthèse : processus politique et victoire de Jean PING

Plus que la victoire d’un candidat, en l’occurrence, Monsieur Jean PING, diplomate de carrière au parcours remarquable, la victoire réclamée par l’électeur gabonais, au nom du respect du suffrage, est d’abord le résultat d’une stratégie, emportant l’adhésion de tout un peuple.

A- Stratégie de victoire et Pacte de gouvernement

Il s’agit d’une démarche qui a consisté à unifier l’opposition derrière un des trois principaux candidats en vue. Après ce premier groupe, la stratégie de l’unité a été ralliée par deux candidats supplémentaires. Au total, Monsieur Jean PING a été désigné candidat de l’opposition unifiée et bénéficié d’une part, du désistement de Messieurs Guy Nzouba Ndama (ancien Président de l’Assemblée Nationale) et Casimir Oye Mba (Ancien Premier ministre). Les candidats Léon Paul Ngoulakia (Ancien Responsable du Conseil de Sécurité) et Roland Désiré Aba’a Minko (Fonctionnaire), ont renforcé cette dynamique, d’autre part.

Le Pacte de mandature ainsi acquis comporte en aval un accord sur le socle commun aux programmes des différents candidats, assurant ainsi une vision la plus complète et la plus élaborée possible, des perspectives de développement durable au Gabon, comme on peut l’attendre de la richesse d’autant de contributions.
À ce premier élément de la stratégie de la candidature unique, s’ajoutent deux autres : d’un côté, jamais un accord politique n’aura auparavant reposé sur la garantie de la contribution de la plus grande partie de l’intelligentsia et des technocrates que compte le pays ; de l’autre, jamais les perspectives de réforme n’auront autant été envisagées avec l’aval d’un tel front élargi des forces vives de la nation (la société civile, mouvements associatifs et syndicaux confondus).
À partir du moment où le choix a porté sur Monsieur PING, celui-ci a reçu l’adhésion historique, au-delà des clivages socio-politiques établis depuis l’indépendance du Gabon en 1960, non seulement de la quasi-totalité des partis politiques de l’opposition, mais encore, des acteurs de la société civile, jusqu’aux citoyens n’ayant aucun engagement actif politique ou civil.

Monsieur Jean PING a été porté par une stratégie à laquelle ont travaillé des universitaires rompus à la recherche théorique et appliquée, des acteurs des diverses composantes de la société civile (syndicats, confessions religieuses, associations) et des figures de la scène politique, du monde de la science et de la culture, du corps des notables et hauts dignitaires.

Des villes à la campagne, des élites au Gabon profond, toutes ethnies et provinces confondues y compris la diaspora, cette stratégie a forgé la détermination dont le Gabon a fait la démonstration, notamment le 16 août (date où la candidature unique a été soumise aux gabonais et plébiscitée), le 27 août (jour du scrutin) et les jours suivants, marqués par la contestation du processus du coup d’état militaire et électoral, malgré des apparences de la légalité.

Loin de se réduire aux clichés d’une confrontation électorale opposant des anciens membres du parti unique ou des personnalités liées par des alliances familiales, la victoire de Monsieur Jean PING est ancrée dans un vaste mouvement soutenu par un large front. Ainsi ont été réunies les conditions rares de voir renaître un Gabon Républicain dans le cadre d’une ALternance (GRAL) véritablement plébiscitée.

B- Gabon Républicain et ALternance

Il y a lieu de dire que l’alternance préfigurée et conquise par le peuple gabonais, est un moment historique, parce qu’elle exprime la volonté d’une rupture réelle :

  • elle est mesurable d’abord par l’état d’esprit, de cohésion et d’engagement du peuple ;
  • elle se traduit par l’adhésion d’un large front politique, social et culturel ;
  • elle annonce l’arrivée au pouvoir, quoique dans le sillage d’un ancien ministre des gouvernements Omar Bongo, d’une nouvelle classe politique, forgée dans l’opposition depuis 25 ans ou ces dernières années ;
  • elle est portée, comme les manifestations l’ont démontré, par les nouvelles générations du millénaire (millenials) ;
  • elle marque la fin de l’hégémonie de l’ancien parti unique ;
  • elle porte un coup d’arrêt à un cycle de 50 ans sous le règne d’une seule famille.

Au terme du scrutin du 27 août 2016, le peuple gabonais a élu Jean PING, réalisant ainsi cette double aspiration du renouveau de la République et de l’alternance. La crise est née de l’habitude prise par les institutions inféodées à l’ancien parti unique et à la famille Bongo, de renier et d’ignorer purement et simplement, par divers subterfuges, le libre choix qui incombe aux citoyens.

II- Enjeux de la crise post électorale au Gabon et alternatives

Sortie de crise et perspectives post-crises de redressement au Gabon

Le Gabon s’est installé dans la crise depuis que Monsieur Ali Bongo tente de s’octroyer la victoire acquise à Monsieur Jean PING. Quels sont les enjeux majeurs de la crise postélectorale ?

A- Crise post-électorale

Il faut relever en premier lieu, les réactions de la communauté internationale. Prenant en considération les irrégularités dans l’annonce et la validation de l’élection accordée à Ali Bongo, la communauté internationale, notamment à travers l’ONU, l’UE, la France et les États-Unis, a appelé au recomptage des voix en vue de la transparence requise. Elle a également recommandé aux parties, le respect de la légalité et le recours aux voies juridictionnelles. La voix du Saint Père, le Pape François, a appelé le monde à prier pour le Gabon.

Parmi ces composantes de la communauté internationale, l’UE s’est retrouvée au premier plan. La première raison de cette particularité est la densité de la Mission d’observation des élections, mise à la disposition des autorités gabonaises, à leur propre demande. Cette position de la mission de l’UE s’explique aussi par la qualité des analyses préliminaires et la constance sur les principes et bonnes pratiques mises en avant, dans le Rapport final de la Mission.

A la forte mobilisation des électeurs qui se sont assurés de l’authenticité des résultats à la sortie des bureaux de vote, Monsieur Ali Bongo a répondu par l’instrumentalisation des administrations centrales et des institutions en charge des élections. Il a recouru à la force armée pour imposer ce qui est en réalité, un coup de force.
S’agissant de la réaction du peuple gabonais, elle a été spontanée. Elle est apparue fondée sur la ferme volonté de s’opposer au projet de Monsieur Ali Bongo, de s’imposer au pouvoir contre le choix souverain et clairement exprimé par les gabonaises et les gabonais.

Sur le territoire national, très vite, un millier de personnes ont été mises en état d’arrestation, dans des conditions de graves violations des droits humains.

L’intensité de la contestation dès les premières heures, a coûté au pays, ses premiers blessés et ses premiers morts. La combinaison d’une stratégie planifiée, du recours à des escadrons anonymes, à des expéditions dans les quartiers et l’usage disproportionné de la force, face à des populations civiles, a brutalement accru le chiffre des personnes tuées. Le plus grand nombre a perdu la vie à la suite de l’assaut dans les locaux ayant servi de QG au candidat de l’opposition, Jean PING. Alors que la lumière reste à faire sur le décompte exact des victimes, les estimations laissent penser que le Gabon (plus de 1.500.000 hab.) a enregistré à la suite de cette crise postélectorale, plus de pertes en vies humaines, que la crise au Burkina Faso (plus de 18.000.000 hab.) ayant entraîné la chute de Blaise Compaoré.

La population gabonaise vivant à l’étranger n’a pas été en reste. Plus concentrée en France, cette diaspora a affiché une cohésion et une constance dans la détermination, qui ont surpris à travers le monde (36 semaines de mobilisations non-stop). Cette mobilisation vient rappeler ce que la stratégie de l’union de l’opposition a apporté au peuple gabonais : à la fois la possibilité de se réconcilier avec lui-même et le supplément de civisme et de combativité. La stratégie de l’opposition a donné aux citoyens, le gage de l’alternance. En conséquence, le peuple gabonais y a cru et œuvré pour l’obtenir, en donnant la victoire à Monsieur Jean PING.

B- Enjeux et perspectives de sortie de crise

Perspectives post-crise et redressement au Gabon
Les enjeux majeurs liés à la crise post-électorale, sont brièvement esquissés. Les perspectives de sortie de crise seront envisagées en arrière plan de la revue de ces enjeux

(i)- Les enjeux sur le plan de la légalité, de l’état de droit et de la diplomatie :

La position de la communauté internationale : elle a semblé globalement manquer de lisibilité. Rappelons que la communauté internationale a d’abord clairement et dans un quasi-consensus, convergé vers la mise en cause des conditions de l’annonce et de la validation de l’élection accordée à Monsieur Ali Bongo. Dans le même élan, elle a, encore à l’unisson, demandé aux parties de respecter la légalité et de porter le contentieux devant les juridictions compétentes.
En retour, la position de la communauté internationale a été suivie par Monsieur Jean PING. Mais aucune contrepartie n’a été obtenue de ce strict respect de la légalité par le candidat-élu.

Dans le cas de Monsieur Ali Bongo, la communauté internationale n’a été entendue, ni en matière de respect de la légalité, ni en matière de bonne administration, encore moins en ce qui concerne la protection due aux populations.

Or, rien ne justifie une telle liberté laissée à Ali Bongo, ni aux yeux du peuple gabonais, ni à ceux d’observateurs extérieurs avisés, encore moins la comparaison avec l’attitude de la même communauté internationale, face à d’autres crises dans les Etas voisins du Gabon. La communauté internationale a formulé des critiques aussi claires que sévères, à l’égard du processus électoral. Mais, contre toute logique, elle a adopté une position politique aux antipodes, en s’interdisant de reconnaître la victoire à Monsieur Jean PING.
Ce qui aurait été déterminant, sauvant sans doute, au passage des vies humaines. La communauté internationale n’a pas suffisamment concouru, dans le cadre du rappel de l’Etat gabonais à ses engagements internationaux, à la protection du peuple gabonais.

L’avantage mutuel dans le bénéfice des relations diplomatiques : de nombreux engagements, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, sont pris au nom du peuple gabonais et, in fine, pour son bénéfice. C’est fort de ce principe que l’existence de la communauté internationale fait foi, garantissant ainsi la coexistence pacifique entre les peuples et entre les pays, et le développement dans l’interdépendance. La présence des représentations diplomatiques, en l’occurrence de l’ONU, de l’UE, de l’UA, de la France et des Etats-Unis, à Libreville y trouve son fondement.
Dans quelle mesure le Gabon peut prétendre à sa contrepartie de l’avantage mutuel à coopérer avec les États ou les Organisations Internationales, éclairés sur la crise post électorale en cours, si ces partenaires acculent, par défaut, le pays à ne plus compter sur la résolution pacifique des différends ?
Que reste-t-il sinon l’impasse, si la médiation des partenaires n’est plus un recours crédible ?
Le Gabon est condamné à brève échéance à l’impasse tant que la seule issue possible pour Monsieur Ali Bongo, reste, soit de voir la population se jeter dans les rues et se livrer simplement aux rafales des forces armées ; soit de compter sur le ralliement sans condition de la classe politique encore crédible, dans le pays.

Si Monsieur Jean PING et la Coalition avaient manqué d’un sens élevé des responsabilités, l’impuissance affichée par la communauté internationale, aurait
condamné le Gabon à emprunter les sentiers de la guerre civile, rejoignant ainsi la cohorte des États africains fragiles et sans autre perspective que l’implosion dans la violence. De son côté, il apparaît évident que Monsieur Ali Bongo a fait le choix de la répression de la population, sans aucune réprobation conséquente ; comme s’il était naturel d’assister à toutes les dérives, dans les État africains, et de laisser faire les dirigeants en place, dans l’impunité totale et l’indifférence.

En résumé, la crise post électorale a donné l’occasion à Monsieur Ali Bongo, d’imposer au Gabon, un recul généralisé et manifeste de l’état de droit, sur un laps de temps aussi court.

(ii)- Les enjeux sur le plan des droits fondamentaux et des libertés publiques :

l’état des droits fondamentaux, notamment en matière des libertés publiques, est l’illustration la plus lourde de conséquences, du contexte dans lequel les gabonais se trouvent enfermés. Le pays a basculé dans la violation permanente, des principes qui fondent les libertés publiques.

Les libertés publiques : l’état des droits fondamentaux est marqué, notamment depuis fin août, par la suspension quasi-permanente qui remet en cause les libertés de réunion, d’aller et venir, de quitter le territoire et d’y revenir. Beaucoup de personnalités sont ainsi de facto sous une assignation à résidence, qui ne dit pas son nom.
La liberté syndicale est menacée, comme l’illustrent la suspension illégale, des activités d’une des principales confédérations syndicales de l’Education nationale, la CONASYSED et le harcèlement permanent des responsables et des adhérents syndicaux, exposés aux arrestations et aux radiations professionnelles.
L’autre volet des violations systématiques est constitué par la vague ininterrompue d’arrestations arbitraires et répétées. Les procédés qui ignorent à cet égard les principes les plus élémentaires, vont des séquestrations aux enlèvements, en passant par l’implication systématique d’exécutants cagoulés et opérant à bord de véhicules non identifiés. L’uniforme des forces publiques n’est plus de rigueur, ouvrant ainsi la voie, à toutes les dérives.
Les membres de la Mission d’observation de l’UE n’ont pas échappé à ces pratiques, contraires à l’état de droit. Ils ont ainsi été victimes de la violation de leur droit au secret des communications (banalisation des écoutes téléphoniques assumée par les équipes de Monsieur Ali Bongo). Ils ont subi des menaces ouvertement proférées par les autorités gabonaises, contre leur intégrité physique.

Le climat ainsi créé n’a guère épargné les entrées sur le territoire national. Le pouvoir sortant a usé de toutes les manœuvres dilatoires, pour faire obstruction à la délivrance de visas à la presse internationale ou aux ONG internationales, soucieuses de rendre compte des effets de la crise post-électorale. Le peuple gabonais se trouve ainsi enfermé dans un huis-clos qui le prive de toute forme de recours ou d’assistance. Dans tous les cas, la négation des libertés publiques s’est installée.

Négation des droits fondamentaux et usage disproportionné de la force La posture de Monsieur Ali Bongo est celle d’une personne nullement concernée par la réprobation suscitée par l’ampleur des atteintes, dans un champ aussi sensible que celui des droits fondamentaux. Deux circonstances aggravantes assombrissent plus encore ce tableau.

D’abord Monsieur Ali Bongo a étalé l’usage disproportionné de la force face à la population civile. Ensuite, le déploiement militaire dans toutes ses composantes du point de vue des corps d’armes d’une part, et de l’arsenal des équipements (chars, avions et hélicoptères de combat, etc.) d’autre part, est digne d’un état de guerre. Couvrant tout le pays sur la durée, il traduit une préméditation manifeste de soumettre la population civile à l’intimidation et à la répression armées. Désormais sans défense, la population gabonaise se trouve privée de la protection dont la garantie, en droit international, incombe à chaque État. Sevrés de la protection dont tout Etat est le garant pour son peuple, les gabonais attendaient à bon droit, un nouvel examen de la situation du pays devant la tribune du Conseil de Sécurité de l’ONU, en vue de se placer à terme sous la protection de la communauté internationale. Le rétablissement des droits
fondamentaux obéit à des standards internationaux auxquels le Gabon ne peut pas se soustraire impunément.
Quelles sont les perspectives de sortie de crise possibles, à court et moyen termes ?

(iii) Perspectives post-crise à court terme :

du fait de la crise qui s’est installée et de la défiance que Monsieur Ali Bongo ne peut surmonter par la seule intimidation armée, un certain nombre d’enjeux de court terme retiennent l’attention.

Sur les premiers enjeux cités, relatifs aux violences, pertes en vie humaines et blessés, pèse la stratégie mise en place par les partisans de Monsieur Ali Bongo ; cette stratégie a permis d’écarter jusque-là, toute intrusion d’un regard extérieur, en fermant purement et simplement l’entrée, aux missions humanitaires et des droits de l’homme. Il est clair qu’on ne peut faire l’économie des bonnes pratiques en la matière : enquêtes internationales, investigations des ONG compétentes, assistance aux requêtes des victimes et de leurs familles, indemnisation, etc.

La permanence de la présence des forces armées est attentatoire aux droits fondamentaux et aux libertés, symboles et sources de tensions, susceptibles de dégénérer dangereusement. Le retour durable dans les casernes sera le baromètre de la restauration progressive de l’État de droit et des perspectives de recherche de normalisation. Celle-ci restera une simple pétition, sans indication claire du retrait des militaires.

Les violences publiques et le nombre de morts : Monsieur Ali Bongo est resté dans le déni total, au mépris de la simple décence morale que les charges qu’il a exercées, lui imposent d’observer, devant un drame de cette nature, peu courant dans le pays. Il s’ensuit que le nombre de personnes ayant perdu la vie n’est pas connu avec exactitude, à ce jour.
En plaçant, les premiers jours, certaines morgues, sous la surveillance de militaires surarmés, Monsieur Ali Bongo s’est délibérément opposé à l’établissement de la vérité. Il est à craindre que ce type de dispositif et toutes les obstructions allant de la corruption de certaines familles des victimes à l’intimidation d’autres, obstruent durablement la vérité.
S’agissant des violences, le mode opératoire des forces armées, notamment lors de l’assaut du QG, appelle des investigations spécifiques eu égard à la gravité des faits en cause : assaut contre des populations civiles à renfort d’hélicoptère ; rafales de tirs aveugles contre des portes abritant des civils ; interventions d’escadrons d’assaillants masqués, appuyés par des ambulances transportant les corps sitôt après les meurtres, en plusieurs navettes ; corps emportés vers des destinations inconnues, au cœur de la nuit de l’attaque survenue entre 1h et 4h du matin, etc.

Les blessés : le nombre des blessés dans les circonstances de l’attaque de nuit contre le QG, comme ceux qui ont été touchés dans d’autres conditions, gagne à être connu. Or ce n’est pas le cas, d’autant moins que les actes d’intimidation de l’entourage de Monsieur Ali Bongo, ont pu dissuader certains blessés de se présenter dans les centres médicaux, allant parfois jusqu’à craindre des représailles dans ces enceintes. La corruption a été un facteur qui a dissuadé d’autres blessés, de se déclarer.

La population civile livrée à la force armée et aux escadrons : ce que le Gabon a vécu restera sans doute pendant longtemps, comme un épisode de violence de la force publique et de l’armée, marquant une première. Il faut dire que les conflits violents ne sont pas fréquents dans l’histoire du Gabon, par comparaison avec d’autres pays du continent.
Dans certains de ces pays, la violence oppose parfois des camps armés les uns aux autres. La situation créée par les inconditionnels de Monsieur Ali Bongo, doit être caractérisée d’abord par le déchaînement d’une violence disproportionnée des forces publiques par sa nature, sa forme et son ampleur ; d’autant plus que ces forces avaient en face d’elles, des populations civiles.
Par ailleurs, le dispositif armé quadrillant l’ensemble du pays et maintenu durablement en place est, comme souligné dans les passages précédents, de l’ordre de la mobilisation de guerre. Il l’est également dans la nature et les disproportions d’engagement de toutes les armes et de la démonstration des artilleries, qui violent les lois gabonaises. Le dispositif en cause est celui d’un État qui ne peut plus inspirer la protection qu’il est tenu de garantir aux populations. Ainsi pré-positionné, ce dispositif ne laisse aucune chance de réchapper, ou d’éviter un bain de sang, pour peu que les populations entrent dans une manifestation.
Les huit mois écoulés ont vu le peuple gabonais adhéré à la stratégie de non violence adoptée par Monsieur Jean PING et la Coalition qui le soutient sans désemparer. Dans ce contexte, l’action diplomatique menée avec constance, a permis d’ouvrir un certain nombre de pistes prometteuses, en matière de vérité des faits et de justice à rendre aux victimes. On peut citer notamment :

  • Les sanctions préconisées par le Parlement européen, contre des dirigeants gabonais et soumis au Conseil Européen
  • L’enquête préliminaire, ouverte par les instances de la CPI
  • Les enquêtes indépendantes, dont celles des instances de l’ONU, en perspective

La légitimité du suffrage des gabonais et le blocage politico – institutionnel : la démocratie gabonaise glisse du statu quo, au déclin. La coalition autour de Monsieur Jean PING avait prévenu, à la lumière de sa longue expérience, du discrédit qui frappait les institutions gabonaises, notamment celles qui sont en charge des élections.
La longévité du pouvoir, notamment sous le règne d’une famille et d’un seul parti politique, porte depuis des années, les germes du blocage des institutions. La crainte de ce blocage est apparue sans doute, plus forte, à la suite de l’élection présidentielle du 27 août 2016. Éviter ce risque est donc apparu comme un enjeu déterminant.
Le peuple gabonais l’a compris ainsi et surtout, l’a démontré, dès l’instant où il a été convaincu que la coalition constituée autour de Monsieur Jean PING, ouvrait l’opportunité historique de rétablir le fonctionnement des institutions.
Pendant les scrutins précédents de 1993, et plus encore ceux de 1998, 2005 et 2009, la division de l’opposition avait toujours constitué avant les élections, pendant et après au moment du contentieux électoral, un des principaux facteurs de justification de l’échec annoncé de l’alternance.
En se reconnaissant dans la justesse de la stratégie de la coalition portant Monsieur Jean PING, le peuple gabonais a voulu aller au bout de la longue attente de l’alternance. Dans le processus du récent scrutin, après les expériences antérieures de la Commission électorale, du Ministère de l’Intérieur et de la Cour Constitutionnelle, les institutions ont achevé de se discréditer. La défiance des institutions ainsi discréditées, a atteint, d’une part, le point de non-retour.
A la suite des graves dysfonctionnements qu’elles ont endossés, les dites institutions se sont d’autre part, enfermées d’elles mêmes, dans une situation de blocage, dont on peut observer la première manifestation et mesurer le lourd préjudice.
De la Présidence de la République, à la Cour Constitutionnelle, en passant par le Gouvernement, les institutions peinent à jouer et à retrouver leur rôle, dévoilant leur incapacité à rétablir les équilibres et la plénitude de l’adhésion citoyenne, comme ferments de l’Etat. Le seul contrôle du levier de la force publique instrumentalisée, ne suffit pas à garantir la plénitude de l’Etat.
Les apparences de normalité fondées sur le levier de la force, sont trompeuses. Si le blocage est appelé à perdurer, c’est que la réponse des électeurs et de la Coalition, derrière Monsieur Jean PING, marque un changement réel de paradigme, par rapport aux crises qui ont ponctué les élections présidentielles successives, depuis près de vingt cinq ans. Les crises post électorales ont été suivies depuis 1993, par des concertations politiques se soldant par la distribution de postes, au sein de la classe politique.
Le nouveau paradigme veut que le suffrage des gabonais soit respecté et que le choix des électeurs portent à l’exercice du pouvoir, celui qui a été élu. C’est le paradigme de l’alternance réalisée.

La deuxième manifestation du blocage des institutions tient à la situation de Monsieur Ali Bongo qui, outre la force armée exhibée pour paralyser toute liberté d’action de ses adversaires politiques, des corporations de l’administration et de la société civile, est réduit à un rapport ténu, sinon artificiel, avec le Gabon profond.
En clair, les institutions sont coupées du corps social. Enfin, le blocage des institutions se mesure au regard du calendrier politique qui inscrivait dans les deux mois suivants (fin 2016), le renouvellement de l’Assemblée nationale. Les législatives devaient être organisées dans la foulée de la présidentielle.

Faut-il craindre de voir les législatives organisées sans la coalition de soutien à Monsieur Jean PING. Mais quelle réponse, pour quelle pertinence, cette option revêt – elle, pour surmonter le blocage institutionnel ?
Dans tous les cas, dislocation partielle de la coalition Jean PING ou cavalier seul des alliés d’Ali Bongo aux législatives, la forte abstention des gabonais facile à pronostiquer, devait laisser la question du blocage des institutions pleine et entière.
Les législatives ont été reportées, sans qu’apparaisse une éclaircie. La difficulté est simplement différée.
Il est impossible de ne pas voir qu’en fermant la voie à l’alternance, la crise postélectorale prive le pays de la principale base de recherche d’une issue pacifique :
l’adhésion qui doit suivre chaque élection, de la masse critique des forces vives de la nation.
L’alternance porte les chances les plus objectives de relance des institutions, des mutations institutionnelles indispensables et de maintien d’un taux de participation de l’électorat, aux législatives toutes proches. Cette participation est le gage que le blocage de l’Assemblée nationale, suspendue à l’organisation des législatives, sera levé, amorçant le début de normalisation institutionnelle. Un tel acquis assure une respiration institutionnelle incontestable.

(iv) Perspectives post-crise à moyen terme :

il serait erroné et très réducteur de voir la crise post électorale, sous le seul angle de la question politique, même si l’alternance est un facteur dont l’effet de levier ou d’entraînement, ne saurait être sous-estimé. Dans cet esprit un complément d’analyse permet de restituer une perspective plus transversale et plus proche de la réalité.

Contexte économique et social : ce qui prévaut, sur le plan économique, c’est qu’on passe de la panne conjoncturelle aux réformes impossibles. La situation que vit le pays est patente. Le marasme économique est sans précédent, conjuguant explosion de la dette, fermeture des entreprises et chômage endémique.
Situation économique dont la crise, longtemps masquée sous les artifices et le déni, vient d’être confirmée, à la faveur du Sommet Extraordinaire des Chefs d’Etat de la CEMAC, du 23 décembre 2016, organisé à Yaoundé, en présence de la Directrice Générale du FMI.
Le Gabon a échappé à la dévaluation du CFA, pas aux fourches caudines d’un ajustement structurel, très révélateur du bilan à la fin de la mandature d’Ali Bongo. Engager l’ajustement structurel, suppose clairement d’être à même d’entraîner les gabonais, et de les faire adhérer aux orientations qui conditionnent la réussite des réformes.

Le bilan social n’est guère meilleur, avec une paralysie sociale qui touche quasiment, l’ensemble des secteurs de l’administration, de l’éducation nationale à la santé publique, en passant par la justice, les douanes et les impôts.

Face à ce contexte, la réalisation de l’alternance revêt une réelle portée, en termes de sortie de crise et d’amorcer des réformes indispensables à la restauration de l’économie. Il apparaît en effet plausible, que les conditions de l’alternance, préparées par le large front Jean PING, apparaissent comme celles qui se prêtent le mieux à la période des réformes économiques, monétaires et sociales indispensables.
Monsieur Jean PING l’aurait-il emporté dans le cadre d’une coalition plus étroite, aurait été moins en mesure de réunir, avec succès, les gabonais autour des réformes post présidentielles. Il aurait hérité d’une quasi-paralysie du corps social sur lequel échouent, totalement ou partiellement, les réformes depuis des années.
L’alternance, particulièrement dans les conditions de cette vaste adhésion des forces vives autour de Jean PING, est incontestablement constitutive d’une nouvelle donne, idéale pour mener à bien les profondes réformes économiques, monétaires et sociales, qui engagent le redémarrage d’un des pays locomotive de la sous région, et les perspectives de court et moyen terme du Gabon.
A contrario, l’absence de réformes ambitieuses, avant longtemps, accélère le déclin économique et alimente les tensions politiques. Dans ce contexte, le pays verra perdurer la crise post-électorale et sa généralisation.

Le spectre de la guerre civile : face au dispositif militaire qui symbolise désormais au quotidien, la relation de Monsieur Ali Bongo au peuple gabonais, il suffirait du choix d’affrontements prolongés dans le face à face ‘’manifestations – répression’’, pour que le climat de guerre civile de positionnement ou virtuel, devienne une réalité tragique.
Les massacres d’août-septembre, la poursuite des arrestations et de procès expéditifs, ont montré que la retenue a déserté les options qui guident Monsieur Ali Bongo. Face aux troupes armées pré-positionnées pour étouffer toute manifestation, les gabonais attendent l’ordre de contester en maudissant presque en silence, la pondération de la coalition de Monsieur PING. La guerre civile, il faut l’admettre, est le spectre qui hante le Gabon jusqu’à nouvel ordre.

Le basculement géostratégique du Gabon et ses conséquences sur les équilibres de la sous-région : alors qu’elle plane sur le Gabon, l’entrée dans le tourment d’un tel conflit (guerre civile), viendrait aggraver un contexte géostratégique, sous régional, qui est déjà complexe.
La situation géostratégique de la sous – région naturelle du Gabon, compte depuis peu, un nouveau facteur de déstabilisation, à travers l’ampleur reconnue et partagée de la crise économique et monétaire, au sein de la CEMAC (Sommet Extraordinaire de Yaoundé).
Dans un contexte marqué par la menace de Boko Haram, dont l’onde de choc est ressentie directement ou indirectement dans tous les pays, la déstabilisation du Gabon aurait des implications telles que, plus un seul des pays de la CEMAC, ne se prévaudrait d’être à l’abri d’au moins une menace majeure. À ce titre, la situation du Gabon doit être considérée à l’aune des risques des effets d’entraînement qui pourraient affecter les autres pays.

(v)Perspectives diplomatiques

La gravité des événements ayant nourri la crise post – électorale, explique en partie, la difficulté d’amorcer l’examen formel des positions des parties et protagonistes en présence. La diplomatie n’a pas véritablement réussi à reprendre la main. Les conditions dans lesquelles des civils gabonais ont péri, dans un rapport de force déséquilibré et des assauts délibérés et planifiés avec la sécurité et les armées nationales, constituent sans doute, une explication suffisante. Cependant, à cela s’ajoute le fait que le jugement des gabonais sur les grands acteurs de la diplomatie et de la communauté internationale, traduit une relative disgrâce. L’UE semble le seul grand acteur de la scène internationale à avoir échappé aux récriminations et à la méfiance qui a gagné l’opinion gabonaise.
Le 15 décembre dernier, l’UE a publié un Communiqué, au terme de sa Mission d’observation électorale.
L’UE est passée au registre de partenaire du Gabon, dans le cadre de l’Accord de Cotonou. Le Communiqué du 15 décembre permet de souligner :

  • la position de médiateur entre les parties gabonaises, adoptée par l’UE
  • la prise en compte respective, conformément aux dispositions de l’Accord de Cotonou, de toutes les parties prenantes gabonaises, notamment la partie représentant l’Etat, la société civile, d’une part ; et dans le contexte propre à la crise post-électorale, la coalition Jean PING qui défend la victoire aux élections du 27 août 2016, d’autre part.
  • la mise en œuvre des dispositions de l’Accord de Cotonou, notamment l’Annexe VII, au demeurant, encadrée par les articles 8 – 9 et 96-97.
  • l’ouverture entre l’UE et la partie représentant l’Etat gabonais, par le fait des dispositions pertinentes considérées, d’un ‘’Dialogue politique intensifié’’ qui, par définition, porte « sur le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et
    de l’Etat de droit ».
  • l’annonce par le Communiqué, de l’ordre du jour du Dialogue, inspiré directement par ces dispositions de l’Accord de Cotonou, notamment :
    • la situation des droits de l’homme et des libertés ;
    • l’état des enquêtes sur les violences post-électorales et les allégations de rares violations des droits de l’homme
  • l’ordre du jour élargi à d’autres volets d’ordre diplomatique et politique :
    • les relations entre l’UE et le Gabon après l’élection présidentielle et la publication du Rapport final de la Mission d’observation électorale de l’UE ;
    • les perspectives d’un véritable dialogue national inclusif ;
    • les initiatives et les mécanismes permettant de renforcer … le processus de consolidation démocratique
    • la mise en œuvre des recommandations de la Mission d’observation électorale de l’UE ;
    • les réformes électorales

La partie gabonaise n’a pas répondu aux obligations que lui impose le respect de l’Accord de Cotonou. A ce jour, les propositions de l’UE correspondent à une piste de médiation autour d’une position clef : ouvrir « les perspectives d’un véritable dialogue national inclusif dans un climat apaisé ».

La position clef, alternative à celle-là, reflétant le mieux le suffrage exprimé par le corps électoral gabonais, est celle qui vise à ouvrir la voie à « l’examen de l’acceptation, dans un climat apaisé, de la fin du mandat exercé par Monsieur Ali Bongo, à l’échéance de la consultation électorale du 27 août 2016 ».

La vision qui porte la volonté d’aboutir au changement apaisé, à la tête de l’Etat, est celle d’un Gabon qui réalise l’alternance en se préservant de sombrer dans la guerre civile.